Alors qu'on est bien forcés d'admettre que David Cronenberg, en virant "mainstream", n'est plus un metteur aussi intéressant qu'il le fut dans toute la première partie de sa carrière - la plus scandaleuse et la plus féconde - revoir "eXistenZ", qui fut un peu sous-estimé à sa sortie, est à nouveau un sacré direct au foie. Voici un film qui est peut-être encore plus pertinent aujourd'hui qu'il y a 20 ans, tant les interrogations sur les dangers (politiques, mentaux) du développement des univers virtuels sont devenues cruciales. Bien sûr, "eXistenZ" n'est pas un chef d'œuvre, car on s'égare un peu - et ce, non sans délices - dans les méandres de son scénario multipliant les twists : du coup, le film perd pas mal de son impact initial au fur et à mesure qu'il progresse. Cronenberg a toutefois le grand mérite ici de nous proposer une alternative conceptuelle aux habituels scénarios SF à la "Matrix", tant il se gausse élégamment de la différence entre réel et virtuel. Dans ses meilleurs moments, "eXistenZ" peut donner l'illusion d'un film presque interactif, d'une expérience où le spectateur ne peut que s'identifier aux deux personnages égarés, et cesse d'être passif pour chercher avec eux la solution (mais quelle solution ? On sait bien qu'il n'y en a jamais chez Cronenberg…). Pour finir, pointons une évidence, mais l'une des facettes du film qui l'élève au dessus du simple "genre", aussi intelligent soit-il : la vision cronenbergienne d'une sexualité anale, "sale" et dangereuse, aussi jouissive que vaguement répugnante, couplée aux hauts-le-cœur provoqués par l'ingestion de batraciens graisseux, offre au spectateur des instants pour le moins radicaux. [Critique ré-écrite en 2017]