Comme à son habitude, le cinéaste canadien mêle chair et technique dans un univers visuel qui tient à la fois du film à suspense et de la thèse existentielle.
Avec eXistenZ David Cronenberg nous invite à visiter un parc d'attraction qui serait entièrement dédié à son œuvre. eXistenZ regroupe toutes les fascinations et les obsessions de son auteur. Né d'une conversation avec Salman Rushdie, le scénario d'eXistenZ nous plonge dans un futur où les créateurs de jeux virtuels sont devenus des stars.
L'une d'elles, Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh) est victime d'un attentat commis par un fanatique de la réalité, lors même de la première présentation de son nouveau jeu : eXistenZ. Blessée à l'épaule par un curieux projectile, elle s'enfuie avec Ted Pikul (Jude Law), un stagiaire du département marketing de la société productrice du jeu. Elle lui propose de participer avec elle à eXistenZ, mais Ted n'est pas équipé de l'indispensable bioport nécessaire pour entrer dans la réalité virtuelle. Ils s'arrêtent dans une station service où ils rencontrent Gas (Willem Dafoe), faiseur de bioports amateur. Ce terme barbare désigne un trou pratiqué à la base de la colonne vertébrale permettant l'introduction de l'ombi-cable qui est relié au game-pod composé de métachair, c'est à dire une sorte de cordon ombilical branché sur une console de jeu, joyeux mélange de chair et de technologie. Et ce n'est là que les vingt premières minutes du nouveau film de Cronenberg.
C'est aussi le premier scénario entièrement conçu par le cinéaste depuis son traumatisant Videodrome en 1982. Mandaté par un journal canadien pour interviewer Salman Rushdie à Londres, Cronenberg revient de son voyage avec une idée de scénario inspiré d'une fatwa. En cours d'écriture, il s'oriente vers le monde des jeux virtuels. Ainsi naît eXistenZ. A la vision de ce film à nulle autre pareil, on se retrouve au coeur même de l'oeuvre du réalisateur canadien. Chaque scène comprend un élément qui rappelle ses film précédents : un restaurant chinois tout droit sorti de M Butterfly, des animaux étranges rappelant les créatures du Festin Nu, des effets spéciaux inspirés par La Mouche, etc.
Cronenberg reste aussi fidèle à sa thématique de l'homme face à son corps et à la technologie, présente depuis ses premiers longs métrages. Il est alors amusant de constater que celui que l'on considérait comme un réalisateur de film gore devient la coqueluche des Festivals les plus prestigieux : Prix spécial du Jury pour Crash à Cannes en 1996, Ours d'Argent au dernier Festival de Berlin pour eXistenz. Consécration suprême : Cronenberg succède à Martin Scorsese pour la présidence du prochain Festival de Cannes.
Mais eXistenz n'est pas simplement la synthèse de l'oeuvre cronenbergienne. C'est aussi un film qui fonctionne comme un jeu. Le spectateur y est autant participant que les protagonistes. Comme eux on ne sait jamais si l'on est dans la réalité ou le virtuel. D'où un humour ravageur entre sarcasme et crainte. Jamais un cinéaste n'avait réussi un pari aussi captivant, un jeu qui se partage entre le spectateur et la toile blanche. Cronenberg s'amuse à créer une galerie de personnages volontairement plus ou moins réussi : à plusieurs reprises Allegra Geller se plaint de tel ou tel personnage, de tel ou tel situation comme si elle utilisait cette première visite dans son jeu pour y déceler les quelques erreurs qui y figurent encore.
Brillant, intelligent et jouissif.