Dans la filmographie sélective de David Cronenberg, mondialement populaire pour La Mouche reconnu objectivement comme un chef d’œuvre, le cinéaste Canadien connu pour le cinéma d’horreur dans le sous-genre du body horror a scénarisé son 15ème film trois ans après la sortie de Crash qui a fait scandale au festival de Cannes en 1996.
Parce qu’évidemment, après un film érotique sur fond d’accident de voiture, quoi de mieux que de laisser le spécialiste de la direction artistique trash et bien hardcore s’attaquer au domaine du jeu vidéo. Surtout que ce film fait partie de ses quelques films ne s’inspirant d’aucune œuvre préexistante, comme Vidéodrome dans un autre genre.
Plus sérieusement, en tant qu’ex gamer ça me fait plaisir de voir un vrai réalisateur s’attaquer à ce domaine en restant fidèle à ce qui fait son cinéma. Surtout un réalisateur comme David Cronenberg dont les meilleurs œuvres ont vu le jour avant le début des années 2010 : que ça soit dans la subtilité de ses thèmes sur le plan physique avec Faux-semblants ou même une adaptation de roman tel que A History of Violence quand la maîtrise est là. Bien loin du snobisme et de l’écœurement qu’inspire son Cosmopolis (comment on a pu en arriver là ?), ou d’un A Dangerous Method beaucoup trop sage pour être assimilé à sa filmographie.
Surtout si on doit le comparer à eXistenZ, à défaut d’être son plus grand film, il est l’un des plus intéressants non seulement par son statut de film d’auteur et de son thème central, mais aussi grâce à la direction artistique digne des films de Cronenberg. Tout est une question de si on adhère ou pas après, mais que ça soit la console vidéo connecté au corps humain (le pod), le câble servant de connexion, le thème de la réalité virtuelle avec une dimension de jeu de rôle exploré à travers l’aventure de Ted et Allegra, tout sent le couillu et l’audace pour servir la problématique même de l’œuvre qui est toujours d’actualité à travers le jeu vidéo : à force de progrès technologique, sommes nous en train de nous déshumaniser et de nous déconnecter du monde réel ? Le rapport à l’anatomie humaine, thème cher à son cinéma, étant immédiatement mis en raccord avec eXistenZ et les personnages de Ted et Allegra confronté à la réalité virtuelle et à la réalité physique après expérience du jeu dans un monde crée de toute pièce.
Une fois l’introduction des principaux éléments de l’intrigue, ce dernier se lance directement et on remarquera rapidement que David Cronenberg n’use quasiment jamais d’effet de style dans sa mise en image sans pour autant être plat dans ce qu’il montre, comme dans beaucoup de ses films tel que Dead Zone ou A History of Violence. L’univers est non seulement glauque à souhait sans jamais aseptiser ce qu’il montre, c’est trash et surréaliste et Cronenberg l’assume jusqu’à la fin de ces une heure et demi. Surtout quand on voit qu’un jeu vidéo, ici, démarre après qu’un joueur ait caressé un furoncle sur la console fait à partir de chair organique. Sans oublier que, jusqu’à la fin de la première heure du film, les règles du jeu eXistenZ sont traités avec une certaine cohérence même dans le hardcore en terme de visuel. Même lorsque le film passe en mode Inception avant l’heure (oui, parce qu’en dehors du Paprika de Satoshi Kon, je soupçonne Christopher Nolan de s'être inspiré de eXistenZ).
Mais aussi, Cronenberg assume la direction du jeu d’acteur de Jude Law et Jennifer Jason Leigh qui va quelque fois dans l’exagération durant le film, les deux acteurs se prêtant pleinement à l’histoire et n’étant pas à remettre en cause dans ce film. Jude Law, le futur docteur John Watson des films de Guy Ritchie ne manque pas de carrure, comme souvent, en plus de servir comme représentation du spectateur pour découvrir le jeu eXistenZ.
Et Jennifer Jason Leigh étant toujours aussi charmante même en tant que détestable Daisy Domergue dans Les 8 Salopards de Quentin Tarantino, quand elle n’était pas la sexy princesse faussement candide de La chair et le sang de Paul Verhoeven. Et on n’oubliera pas de citer Willem Dafoe en chirurgien psychopathe dont on devinera rapidement dans quel camp il est (et ne venez pas me dire que c’est un spoiler, vous avez très probablement vu les Spiderman de Sam Raimi, Sailor et Lula de Lynch ou The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, vous savez que ce mec ne peut pas être du côté lumineux, sa gueule est aussi flippante que celle du Joker), ainsi que celui de Ian Holm alias Bilbon Sacquet dans la trilogie du Seigneur des anneaux qui marquera les esprits en une seule et même scène, et on pourra remercier David Cronenberg pour ce moment.
L’ambiance du film est aussi plutôt bien aidée par la musique de Howard Shore. Le compositeur fétiche de David Cronenberg n’est habitué qu’à des musiques d’ambiance dans les films du réalisateur, en principe c’est toujours du travail correct sans être mémorable, et eXistenZ n’échappe pas à la règle. Le travail est correctement fait mais ça ne dépasse jamais ce stade.
Malheureusement, et c’est plus une impression personnelle, je trouve qu’une fois la première heure du film passé, la dernière partie semble partir dans un petit bordel ou Cronenberg s’est retrouvé coincé, et que ce qu’il a finalement fait n’est qu’à moitié bien exécuté. Du coup je ne peux pas faire autrement que de parler de la dernière partie du film donc, gare aux gros spoilers.
Après que Ted ait buté le serveur chinois suite aux conseils donné par Yevgeny Nourish, ce dernier leur fait savoir qu’il bosse pour une armée secrète destiné à lutter contre les réalistes, une bande de révolutionnaires contre la technologisation des humains avec les jeux virtuels (à moins que ça ne soit l’inverse ou contre une boîte concurrente de jeu vidéo à Antenna Research). Et là, tout devient un prétexte pour foutre des traîtres partout : le second vendeur de Pod du premier monde dans eXistenZ devient un traître Réaliste dans le monde réel, Kiri Vinokur se révèle être un traître qui a mit un Pod infecté en Ted pour piéger Allegra et Ted (sa mort est d’ailleurs mémorable de n'importe quoi tant le montage et le jeu de Holm sont invraisemblable), le premier vendeur de Pod aussi pour… ben je sais pas du tout pourquoi en fait, c’est tellement balancé de manière forcé comme les autres trahisons que ça en devient bordélique et incompréhensible. Même celle de Ted balancé à la figure sans que ça n’ait de sens en mode Ah ah, je t’ai bien eu, en fait j’ai jamais mis de Pod dans mon cul artificiel parce que je suis un Réaliste (tout ça pour qu’il se fasse abattre comme une merde).
Tout ça pour apprendre que depuis le début : Allegra, Ted, Kiri et compagnie était tous dans un jeu vidéo dont le vrai nom est transCendanZ. Mais ça marche qu’à moitié car elle justifie des retournements de situations grotesques et le jeu d’acteur parfois en mode cabotinage. Sauf que c’est fait à la va-vite et de manière trop survolé pour paraître crédible. Et le seul point réussi de ce Twist ending, c’est de montrer Ted et Allegra comme les deux vrai révolutionnaires Réalistes et de finir le film sur la phrase de fin qui justifie tout les thèmes développés par le film de Cronenberg :
Dites moi la vérité : nous sommes encore dans le jeu ?
C’est quand même con de voir que le film se plante ainsi à rendre son final crédible, parce que pour le reste ça en fait l’un des films les plus intrigants de Cronenberg, tant par le matériau de base que par les thématiques du film et de son cinéma. En tout cas, ça reste vachement plus prenant que ses 3 derniers films. De même pour le reste de ses films bien plus convaincant que ses derniers (surtout la période des années 80 et fin 70) : il n’y a pas que des bons, mais la plupart valent amplement l’expérience, dont eXistenZ.