Plaies intérieures
Après Cecil B. DeMille, c'est au tour de Ridley Scott de s'attaquer à la vie de Moïse et notamment la façon dont il a conduit les hébreux hors d'Égypte et, de sa jeunesse comme prince jusqu'à...
le 26 déc. 2014
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Qu'est-ce qui t'arrive, Ridley? Que s'est-il passé, à l'aube des années 2000, pour que tu modifies ton art à ce point? As-tu changé de personnalité? Es-tu toujours le même homme? Quelque chose est arrivé, c'est évident. Aurais-tu découvert les âfres des effets numériques, pour finalement t'y perdre, à l'image d'un Ramsès dans la mer?
Qu'est devenu le Ridley d' "Alien", celui de "Blade Runner" et de "Gladiator", l'artiste à qui l'on doit "Kingdom of Heaven", "Black Hawk Down" et, à demie-mesure, le convaincant, bien qu'imparfait, "Hannibal"? Non parce qu'entre "Seul sur Mars", bougrement décevant, le pathétique "Robin des Bois", et "Exodus", vaine réécriture du mythe de Noé, l'homme se perd clairement dans les méandres de la mauvaise fresque historique.
Au risque d'en décevoir certains, et de devenir l'adversaire des autres, je vais vous dire ce que je pense réellement d' "Exodus : Gods and Kings" : c'est une daube, une oeuvre décevante et ratée, pleine de libertés avec l'Histoire, n'assumant presque jamais les directions qu'elle prend. Je l'ai déja dit dans ma critique sur "Noé", je n'ai rien à foutre qu'un film ne soit pas fidèle à la Bible; si la direction prise est la bonne, je ne vais pas me priver d'un bon film.
Mais à l'instar d'un "Noé", "Exodus" ne vaut pas grand chose, si ce n'est deux heures et demie de perdues, et une bonne dose d'énervement de gagnée. L'on pourra noter, en premiers lieux, une grossière erreur de casting : ne prendre que des gueules américaines ( stéréotypées, qui plus est ) pour jouer des juifs et des égyptiens, autant vous dire que c'était pas vraiment l'idée du siècle.
Non parce que Christian Bale, je l'aime bien, mais avec ses cheveux courts et sa barbe rasée, c'est qu'il est pas très crédible en Moïse, le bonhomme. Entre temps, au bout d'une bonne heure, quoi, les mecs ont, semble-t-il, compris que les coiffures modernes n'existaient pas, à l'époque; enfin, à moitié, le gars ne gardant que la barbe longue, et les cheveux courts. Du coup, pour la crédibilité, on repassera.
Il en va de même pour le reste du casting; entre une Sigourney Weaver aussi inutile, rare ( disparition totale de son personnage sans qu'on ne sache pourquoi ) et ridicule qu'un John Torturro, et un Joel Edgerton en Ramsès, le spectateur sera, à l'évidence très mal servi. Prenant la place tant convoitée de celui qui succèderait au géant Yul Brinner, Edgerton ne présente ni charisme ni crédibilité, arborant un constant air de chien battu; il manque de présence à l'écran, de force dans son jeu.
Le soucis, c'est que le Pharaon ( le mec, c'était quand même pas une pipe, à l'époque ) arbore des expressions constamment affligées, tellement que même ses esclaves se rebellent contre lui, et lui manquent de respect. Et la logique, dans tout ça? Certes, c'est un film américain; mais est-ce réellement une escuse? Une oeuvre hollywoodienne n'a pas marqué "non respect de l'Histoire", dans son cahier des charges.
Le soucis vient du fait que le reste va encore plus loin dans le manque de logique, dans l'absence de cohérence avec l'histoire. Ainsi, Noé mènera une légion d'esclaves au combat, se croyant, par ci par là, dans un mélange du "Seigneur des Anneaux" et du "Dernier Samouraï". Le soucis, c'est que dès lors qu' "Exodus" part dans son délire, il perd toute crédibilité, tout lien avec la réalité.
C'est d'autant plus dommage que l'oeuvre ne s'assume jamais; se faire son propre kiff, rendre les juifs combatifs, en faire des commandos, des Rambo en puissance, c'était une bonne idée, un point intéressant à développer. Pour ce faire, il aurait fallu se détâcher de la réalité, ne pas tenter de rendre le tout réaliste, de le rationaliser, à la manière d'un Moïse qui, ne croyant pas en Dieu, adopte une pensée rationaliste.
Cela se voit clairement lorsque les plaies sont lancées, et que les crocodiles, par soucis de justifier la mer de sang, tuent quatre pauvres clampins, pour finalement s'entredévorer. Les images sont belles, esthétiques, lorsque l'hémoglobine se répend partout, tant dans les champs que dans les rivières. Si cela manque de logique, c'est surtout parce que Scott a tenté d'expliquer un évènement complètement surréaliste.
Pourquoi ne pas avoir, tout simplement, fait pleuvoir du sang? C'aurait été bien plus convaincant, bien plus marquant d'élaborer une pluie de sang jusque dans les rivières, jusque dans l'océan plutôt que de justifier le début des sept plaies de l'Egypte par une raison aussi casse gueule et abracadabrante.
De ce genre de détails facheux, le film en est rempli jusqu'à la moelle. Les incohérences, qui pullulent ici et là, en font partie intégrante; la conclusion du film, le point d'orgue du voyage initiatique de Moïse, la séparation, en est le parfait exemple. Dans les bandes-annonce, c'était grandiose. Mais la réalité des faits est toute autre; non seulement c'est incohérent, illogique, mais le tout manque cruellement d'ampleur, de souffle.
La faute est, à mon sens, principalement dûe à la mise en scène de Scott, constamment entravée par de mauvais décors, à l'évidence majoritairement faits par le biais du numérique; le résultat, réductible à souhait, enlève tout grandiose à l'oeuvre, son ampleur se perdant dans son illogisme constant, tout comme son souffle épique disparaît derrière ses CGI dégueulasses.
J'aimerai, avant de conclure, évoquer un dernier point. Le film, en plus de ses incohérences et de son manque d'intensité, est constamment gâché par une vision typiquement américaine, sans aucun lien avec les faits historiques ( je ne parle pas de la Bible, rassurez-vous ). Pourri par ses clichés ( les mecs se sont crus dans l'armée ricaine, à gueuler des "oui" comme des marines; c'est à peine si l'on n'attend pas le "sergent" qui va, de coutume, avec ), "Exodus" déçoit terriblement.
Dans ce sens, le classique de Cécile B. DeMille est loin d'être surpassé; je n'ai retrouvé sa poésie que lorsque la mer disparaît devant Moïse, l'instant manquant, malheureusement, d'intensité. Tout comme le reste de l'oeuvre, en fin de compte. A noter, cependant, un Ben Kingsley convaincant, et un Dieu incarné par un enfant insupportable. Une oeuvre fade, sans âme ni logique, frustrante au possible. Reste le plaisir de voir Batman se la jouer leader de l'humanité.
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Créée
le 15 févr. 2016
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