"You have to ask yourself what brought the person to this point", affirme d’emblée la voix grave d’un homme, chef de sécurité dans un aéroport, et qui pourrait être celle de Leonard Cohen que nous entendrons, plus tard, susurrer Everybody knows tandis que Christina s’effeuille sur la scène de l’Exotica. Christina, Francis, Thomas, Zoe et Eric sont ces personnes dont Atom Egoyan observe les trajectoires "to this point" (que nous ne découvrirons qu’aux dernières minutes du film), en raconte les enchevêtrements, les échos du passé, et en dévoile les bouleversements du présent. Des femmes et des hommes cherchant une vérité qui les libèreraient enfin de tant d’illusions, de tant de questions et de souffrances…
De fait, plusieurs histoires cohabitent dans Exotica, et leur relative indépendance n’est qu’un leurre puisque certaines se sont déjà croisées, effleurées à peine, heurtées aussi dans les douleurs d’un terrible drame dont le mystère se cache à travers les herbes hautes d’un champ que l’on dirait sans fin. La logique du film paraît éclatée, mais maîtrisée de bout en bout, et dans laquelle nous nous perdons avec plaisir et consentement. Logique qui passerait par l’exploration des âmes et des corps confrontés à leurs propres pulsions, reflets et mises à nu. Egoyan joue sur les contradictions de ces mises à nu, évidentes dans la forme du film, dans sa corporéité première (les strip-teases de Christina et des danseuses de l’Exotica, les dragues homosexuelles de Thomas, le ventre arrondi de Zoe…), mais latentes et retenues dans la révélation des blessures, des désirs de chacun, de ces points de rencontre enfin, espacés dans la continuité et le morcellement du temps établi par le montage, très élaboré, du film.
Et tous convergeraient vers l’Exotica, lieu symbolique des apparences (décors à l’exotisme toc, miroirs sans tain, passages secrets) où croire, être et vivre ce que l’on pense (ce que l’on sait) n’est jamais ce qui semble être vrai, les fragments d’une certitude se superposant comme l’expression d’une réalité (re)jouée sans cesse (Francis à l’Exotica, Thomas à l’opéra, Eric présentant le spectacle de Christina…) entre simulacres, caresses et mélodies d’ailleurs (magnifique BO de Mychael Danna). Egoyan construit son film tel un étrange labyrinthe mouvant dont chaque oscillation se répercute sur une autre qui en provoquerait une autre encore, et jusqu’à ne plus laisser en nous qu’un sentiment d’égarement, mélancolique et envoûtant.
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