Le film s’ouvre sur les yeux ensanglantés d’un homme, en plan rapproché à la Sergio Leone, avant que la caméra ne s’élève lentement, dévoilant le corps blessé du photographe, son appareil encore tenu à la main. L’image est saisissante et semble promettre un film de haute volée. Pourtant, tous ces premiers efforts sont ruinés dès le second plan : une gerbe de pétales de fleurs qui tombe lentement au sol, dans un kitsch abominable.
Cette ouverture de Eyes of War est un peu à l’image de tout le film : ça aurait pu, mais…
Sorti en 2010 par Bac, Eyes of War pour son titre français (Triage pour son titre VO) est le troisième film du réalisateur bosniaque Danis Tanović, surtout connu pour No Man's Land, Prix du Jury et du scénario à Cannes en 2001.
Même si j’ai tendance à rejoindre les avis de ceux qui sont agacés par cette mode des distributeurs consistant à choisir des titres anglais – assurément plus vendeurs – pour des sorties françaises, je trouve ici le titre assez bien vu et choisi.
Il s’agit de l’histoire de Mark (incarné par Colin Farrell), reporter de guerre qui suit avec son pote David le conflit de 1988 au Kurdistan. A la veille d’une large offensive, les deux reporters font des choix inverses : Mark décide de rester encore plusieurs jours pour photographier les horreurs de la guerre, en quête de bons clichés, tandis que David, bientôt papa, souhaite rentrer chez lui. Quelques temps plus tard, Mark est blessé et, de retour au pays, découvre que son ami n’est pas rentré et est porté disparu.
Je dois dire que j’ai eu très peur sur le premier tiers du film. En effet, Eyes of War semblait plonger la tête la première dans le schéma archétypal du film-flashback. En mode : « Un type se réveille grièvement blessé, voici toute son histoire qui l’a mené à se retrouver dans ce pétrin ».
D’autant plus que la mise-en-scène de ce début n’était pas vraiment fine, j’ai eu beaucoup de mal à croire à cette présentation de deux photographes assistant de cette manière aux pires atrocités.
Un exemple : le médecin du camp de combattants, après avoir exécuté froidement ceux parmi les blessés qui l’étaient trop grièvement pour survivre, rejoint Mark pour lui faire une remarque sur la beauté des paysages environnants. Ça ne marche pas, le décalage est trop grand pour ne pas y voir l’intention d’écriture scénaristique derrière cette séquence.
Fort heureusement, le film évite l’écueil du long flashback, et se concentre bien vite sur l’après. Le retour à Dublin, à la vie occidentale tranquille, et au choc post-traumatique.
Mon intérêt de spectateur resurgit à ce moment-là, bien que de nombreux problèmes de mise-en-scène demeurent. Le film est trop bavard, piétine et fait un peu de sur-place. Ce n’est qu’après une heure que la magie du cinéma s’opère vraiment, avec l’arrivée du grand père Morales, ancien psychologue Franquiste, qui démarre la thérapie de Mark.
A partir de ce moment-là, Christopher Lee (qui joue le grand père) éclipse totalement le jeu de Colin Farrell. Lee est vraiment un acteur impressionnant, son charisme transforme ce qui était jusque là un petit film un peu raté en quelque chose vraiment digne d’intérêt. Dommage que son intervention soit si courte !
Eyes of War n’est pas vraiment un film de guerre. Ce n’est pas non plus tout à fait un film sur un photographe de guerre (dans cette catégorie, côté fiction, je vous conseille le récent Camille réalisé par Boris Lojkine, et côté documentaire Histoire d’un regard de Mariana Otero, passionnant portrait de Gilles Caron). Il s’agit bien davantage d’un film sur le PTSD, les troubles psychiatriques post-traumatiques où l’individu enfouit au plus profond de lui-même une réalité douloureuse.
Pas inintéressant, bien qu’un peu décevant dans la forme, c’est finalement l’intervention de Christopher Lee qui m’aura le plus marqué.