Critique faisant partie de mon marathon Stanley Kubrick : http://www.senscritique.com/liste/Le_marathon_Kubrick/1227577
Voilà, on y est. Notre Stanley Kubrick termine donc sa filmographie sur ce Eyes Wide Shut à l'atmosphère si particulière et si troublante. Le film est tellement grandiose que toutes les scènes méritent une analyse, même le sens du film en lui même peut contenir de multiples interprétations. Comme toujours avec le réalisateur américain, le libre-arbitre est dans les mains du spectateur. En recherchant sur Internet, j'ai trouvé de nombreuses analyses différentes avec différents points de vues. Ce qui prouve là encore, la richesse de l'oeuvre de SK. Une seule critique ne pourrait pas malheureusement regrouper toutes ces autopsies d'EWS.
Le film traite du thème de la jalousie dans un couple et de la possession qui en découle, ainsi que nos désirs et nos fantasmes les plus fous de notre vaste inconscient loin de "notre scène illuminée par la conscience" pour reprendre Bergson.
Faire jouer ensemble un vrai couple qui battait de l'aile aussi bien dans le tournage que hors tournage relève encore du génie de la part du réalisateur de l'odyssée de l'espace. Le couple a qui tout réussit dans le film, que ce soit leurs beautés physiques ou encore leurs positions sociales, est tout de même confronté aux problèmes de fidélité après 9 ans de mariage.
Après qu'Alice relève à son mari, Bill Harford, qu'elle a ressenti l'été dernier un sentiment d'amour envers un autre homme, le docteur Harford part dans une odyssée, semblable à celle d'Homère dans le sens où Bill tel Ulysse va partir loin de sa femme. Partir en quête des désirs les plus fous dans ce New-York nocturne à l'environnement si particulier grâce à la technique cinématographique du réalisateur et au jeu de l'éclairage où excelle SK.
Il y aussi les désirs que Tom Cruise, interprétant là un de ses plus grands rôles, n'assouvira à aucun moment dans le film. Bien que l'offre sexuel rencontré par le Docteur n'est pas des moindres... Orgie sexuel d'une société secrète, triolisme à la fête des Ziegler, le baiser que lui assène une amie devant un lit de mort, prostitué dans la rue, pédophilie chez le loueur de costume et enfin nécrophilie à la morgue où la scène du baiser avec Amanda et la musique de fond donne une scène irrespirable.
La musique comme habituellement chez Kubrick est toujours bien utilisé et transmet exactement l'émotion d'angoisse ressenti par le Dr.Harford et celui du spectateur. Les notes sèches et lourdes accompagnent effroyablement la déambulation new-yorkaise du docteur.
Le point d'orgue de ce désir se retrouve dans la scène de l'orgie sexuel dans ce château (scène qui a ouvert toutes sortes d'analyses sur Internet notamment complotistes), où l'ambiance est complètement déroutante. La musique, les masques, le rituel, l'orgie, on ne se sent pas à sa place tout comme Tom Cruise mais, on est aussi terriblement curieux sur cet univers. Et puis ce mot de passe, Fidelio, seul opéra de Beethoven (dédicasse à orange mécanique?) dont l'histoire où une femme sauve son mari de la prison en se faisant prendre à sa place est semblable à ce qui se passe dans le château entre Amanda et le Dr.Harford mais avec une fin beaucoup plus tragique pour Amanda.
Truffé de détails, le film mériterait deux ou trois visionnages pour voir tout ce que le réalisateur voulait montrer. Par exemple, dans la nuit après avoir subi des menaces par la société secrète, Tom Cruise, au moment où il est suivi et fixé par un inconnu, achète un journal avec marqué en titre "Lucky to be alive" qui est pour le moins très significatif à ce moment du film. Ou encore la chambre de la morgue où se trouve Amanda est la chambre 114 du batîment C, ce qui donne CRM-114 comme le sérum injectait dans Orange mécanique ou le nom d'un programme dans Dr.Folamour.
Le film est adapté du livre "La nouvelle rêvée" que Kubrick va beaucoup plus goyiser et enlever le thème de l'antisémitisme pourtant central dans cette oeuvre d'Arthur Schnitzler. L'auteur était l'ami du fameux psychanalyste Sigmund Freud dont Freud le considérait comme son "double". Bien que jamais cité explicitement, Freud est bien présent dans le film. Nombreuses de ses théories sont repris par Kubrick consciemment ou inconsciemment. Le réaliteur disait : “If it can be written, or thought, it can be filmed.” Ce qui est le cas dans ce film. On retrouve la théorie du pansexualisme dans le film avec l'enfant prostituée du loueur de costume, la théorie de l'inquiétant étrangeté qui est le capitaine sur lequel Alice a fantasmé qui s'immisce dans la vie du couple auquel Bill pense quotidiennement dans le fillm, les rêves qui nous troublent avec Alice qui rêve de ce que vient de vivre Tom Cruise au chateau, ou encore les désirs et les fantasmes que subit notre Dr.Harford...
Pour en revenir au rêve, la folle nuit de Bill paraît comme un rêve éveillée. Rêve (qui n'en est pourtant pas un) où il va rencontrer tous ses désirs les plus fous (comme bien souvent dans nos rêves) et visiter son inconscient avec les différentes offres sexuels que nous avons plus haut. L'utilisation entre chaque scène d'un fondu enchaîné exprime quelque chose semblable aux rêves. Rêve qui va se transformer en cauchemar au moment où Brad Pitt retrouve sur son lit à côté d'Alice un masque vénitien, Tom Cruise comprend qu'il ne faut plus jouer, il revient à la réalité et raconte tout à Alice.
Pour conclure, le couple discute alors dans un magasin de jouet sur tous ces événements et ne savent pas si ils doivent considérer ça comme un simple rêve ou comme la terrible réalité. Le couple doit donc revenir au vrai monde et aux choses importantes. C'est à dire Fuck.
Kubrick finit sa filmographie de légende par cette ultime mot prononcé par Nicole Kidman, tout un symbole. Ce finish répond aussi au début du film lorsque l'actrice se dénude lors de la toute première scène qui donne le ton directement.
Eyes Wide Shut, "les yeux grands fermés" prend tout son sens. Soit Kubrick voulait parler de nos yeux fermés durant nos rêves ou (je pense que c'est la bonne interprétation, mais ce n'est que mon avis) de nos yeux grands fermés face à la réalité de nos vies et de nos désirs les plus fous ainsi que du refus d'accepter ce que l'on a vu comme Bill Harford face à cette orgie sexuelle de la société secrète.
La der des der du réalisateur américain est grandiose, sublime, et majestueuse. Même une analyse approfondie avec toutes les approches possibles ne rendra jamais compte de l'atmosphère planant autour de ce film. Kubrick nous délivre son testament cinématographique avec une infinité d'interprétations sur ce long-métrage démontrant une fois de plus l'immense richesse de sa création.
Kubrick, ce génie.
Life goes on. It always does, until it doesn't.
Eyes Wide Shut, Victor Ziegler.