Why did the man throw, throw the clock out of the window, huh? He wanted to see time fly.
John Cassavetes s'est un jour ramené vers ses producteurs, comme ça l'air de rien, la fleur au fusil, et leur a sorti qu'il avait pour projet un film de 6H sur l'étude des relations entres les gens post-45. Pendant qu'un mec appelait l'HP le plus proche en douce, les autres ont longtemps palabré avec lui, réduisant la durée à 2H10, une durée suffisamment insoutenable pour certains et suffisamment propice à la démonstration du génie. Comme quoi, la taille, c'est pas si important.
Ce film comporte un nombre très réduit de scènes, une petite dizaine si je ne m'abuse, d'une durée moyenne d'environ... faites le calcul.
On y suit la déliquescence du mariage entre Dick (John Marley, fantastique) et sa jeune épouse Maria (Lynn Carlin, idem) ; Dick trouve du réconfort avec une escort-girl d'une vingtaine d'années, la magnifique Gena Rowlands, et Maria se console avec un type qu'elle a ramassé dans un bar (baaaad girl) campé par Seymour Cassel.
Le scénario en lui-même s'arrête là, le reste n'est que de la "simple" écriture de personnages ; mais quelle écriture ; et quels personnages. Primo impeccablement campés - des nominations aux Oscars, une récompense à Venise pour John Marley, qui n'est absolument pas jamaïcain malgré son patronyme - et deuxio cernés à la perfection par Cassavetes.
Son film s'intéresse principalement au jeu de la séduction entre hommes et femmes, mais aussi au jeu de la séduction amicale, aux rapports de force qui s'instaurent dans les rapports sociaux, aux relations pathologiques et celles qui vous font revivre, au mariage et au divorce... chaque scène est écrite sans fausse note, sur un ton très réaliste (on mettrait une caméra cachée dans une pièce, on entendrait la même chose) et pourtant presque sociologique : la démarche de Cassavetes et de montrer mais aussi de faire réfléchir son spectateur, qui se prend à essayer de deviner la suite des événements dans chaque scène, de relever la part de vécu dans chaque dialogue, le côté autobiographique dans chacun des personnages...
La réalisation est tout aussi remarquable, avec les habituels plans serrés sur les visages qui ne font que révéler encore plus le talent des acteurs ; les regards, les moues, rien n'échappe à Cassavetes, son écriture se nourrit de sa réalisation et vice-versa ; le placement de la caméra est toujours optimal, les plans magnifiques, le réalisateur est là mais ne s'introduit en aucun cas dans le territoire de ses comédiens, qui s'approprient sans mal l'espace qu'il leur a donné.
Un magnifique morceau d'art doublé d'une étude comportementale, un chef de file du cinéma américain qu'on jurerait sorti tout droit de la vieille Europe, Faces replace la caméra là où elle doit être : juste autour de ses protagonistes, assez loin pour les laisser briller mais tout de suite à côté pour recueillir leurs éclairs.