Le tant apprécié Viggo Mortensen s’essaye à la réalisation avec Falling. Une histoire de filiation père-fils conflictuelle et complexe mis en scène avec la finesse et la pudeur qui le caractérise.
Qu’il était attendu le premier film de Viggo Mortensen. L’homme aux multiples casquettes et à l’éclectisme vertigineux (acteur, photographe, peintre, poète et éditeur, rien que ça…) s’attèle pour la première fois à celle de réalisateur et scénariste. Un titre, Falling, et un label Cannes 2020 suffisaient largement à susciter l’engouement.
Une impatience qui n’est pas sans rappeler celle qui animait Lost River, le premier film de Ryan Gosling. Une réussite et son carrefour d’influences entre Refn et Lynch. Avec Falling, c’est totalement l’inverse. Nous sommes face à un film très personnel, qui adopte une démarche simple - avec très peu de fioritures – pour épouser la force de son propos.
Falling est né au-dessus de l’Atlantique, lors d’un voyage en avion. Viggo Mortensen venait d’enterrer sa mère et les souvenirs de toute une vie l’ont envahi au point d’accoucher sur un bout de papier des bribes et impressions qui allaient devenir la trame principale de Falling. La dimension autobiographique s’arrête là, mais raconter cette histoire lointaine était un moyen pour le jeune réalisateur de s’approcher d’une certaine vérité des sentiments. Par le biais de la fiction, de l’imaginaire et des souvenirs impalpables, Viggo Mortensen pouvait mettre des mots et des images sur sa douleur et ses questionnements.
CHOC DE GÉNÉRATIONS
Tic-tac… C’est avec ces petits bruits de cliquetis que débute le film. Les secondes s’écoulent, paisiblement. On comprend alors que la thématique du temps va traverser le film, d’autant que ces cliquetis accompagnent plusieurs fondus entre le passé des années 60 et le présent de 2009.
Avec son premier film, Viggo Mortensen dépeint une relation père-fils sur près de 50 ans. Une relation remplie d’animosité, de rancœurs, de douleurs et de non-dits. Une incompréhension entre deux hommes que tout oppose désormais. Willis, le père (Lance Henriksen), est aujourd’hui atteint de démence sénile. Il est présenté comme un personnage rustre, un homme de la campagne qui ne se cache pas pour dire ce qu’il pense. La violence de ses invectives parle d’elles-mêmes. Raciste, homophobe et misogyne. Un personnage en perte de repère face à une évolution de la société qu’il ne saisit pas et qu’il préfère rejeter. De l’autre côté, John (Viggo Mortensen), homme de la ville qui vit avec son compagnon Eric et sa fille adoptive Monica. Un démocrate dans l’âme. Un homme doux et bienveillant.
En mettant en scène ce choc de générations, Viggo Mortensen parle aussi des Etats-Unis et de cette fracture insoluble entre les deux camps (républicains et démocrates) que tout oppose. C’est un choc de valeurs à travers le langage, les gestes, les comportements. Il est un témoin inquiet de l’évolution de son pays, qui n’oublie pas l’espoir par le dialogue et l’empathie.
RETOUR VERS LE FUTUR
Pour parler de cette relation conflictuelle, Viggo Mortensen fait le choix d’une narration qui alterne entre passé et présent. Un choix ambitieux et audacieux pour un premier film, qui permet au film de fonctionner comme un puzzle émotionnel. Sa construction, avec la multiplicité des points de vue, permet de comprendre tout ce qui anime les personnages, et de saisir leurs douleurs enfouies, leurs rancœurs inavouées.
Plus étonnant encore, c’est la limpidité apparente et remarquable avec laquelle le film se déroule. Tout est étrangement à sa place. Il y a une volonté de filmer des fragments de souvenirs, matérialisé par des flashbacks soudains, avec pour but d’épouser la perte de mémoire de Willis et ses souvenirs fragiles. Falling offre alors une mise en scène épurée, composées de peu d’artifices. Un langage cinématographique qui évoque le minimalisme d’un Yasujirô Ozu. Pourtant, le film est agrémenté de moments suspendus, très bien sentis, de poésie et de grâce. On est dans du cinéma qui revendique le pur classicisme à l’américaine, et la poésie qui irrigue son cinéma indépendant.
Malgré la finesse de l’exécution, la délicatesse du propos et du découpage, on peut regretter un manque d’authenticité et de personnalité dans les images. Une sagesse étonnante de la part d’un homme aussi créatif et éclectique. Le film souffre légèrement d’un rythme lancinant, qui finit par lui jouer quelques tours sur l’impact émotionnel. Mais c’est un film qui a des atouts à faire valoir. Une sincérité, une délicatesse et une douceur de regard, qui épousent parfaitement l’image de son auteur.
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