Connu pour ses prestations d’acteur, mais également reconnu en tant que poète, photographe et peintre, Viggo Mortensen, tout en tenant le premier rôle, passe également derrière la caméra pour sa première réalisation, à forte teneur autobiographique. Très impliqué, il en est également scénariste, coproducteur et musicien, puisque, au piano, il compose une bande originale sensible et discrète.
Le titre laisse toutefois d’emblée entrevoir un partage du rôle principal, puisqu’on se doute bien que ce n’est pas l’acteur-réalisateur, encore dans la force de l’âge, qui va se trouver présenté comme pris dans un mouvement de chute, « Falling », « tombant ». De fait, surgit bien vite un deuxième personnage, le père, qui se verra secondé dans son déclin par le héros, en position de fils dévoué. Un deuxième personnage qui ne tarde pas à voler la vedette au premier puisque, incarné par Lance Henriksen, ce père déclinant, Willis, crève véritablement l’écran, par l’hypermobilité hagarde de son regard et de tout son visage, plus subitement et imprévisiblement changeant qu’un ciel de mars.
Une construction assez subtile, fondée sur une série de flashbacks, permet d’accompagner une pensée devenue erratique, le remplissage d’un verre d’eau faisant resurgir le souvenir d’un torrent ou un simple mot éveillant l’image de l’épouse perdue ; doublement perdue, puisque divorcée, lorsque les enfants avaient une dizaine d’années, puis tuée, bien plus tard, par un accident de voiture. Les retours en arrière livrent des éclats de ce passé qui finit par se recomposer comme un puzzle, sur lequel veille le délicat visage de cette mère (Hannah Gross), toujours autant adorée que maudite par son ex-mari. Dans ces souvenirs illustrant la jeunesse du couple parental, l’acteur suédois Sverrir Gudnason prête son visage à la fois intense et fermé au personnage de Willis jeune. Et la très belle photographie du Danois Marcel Zyskind, poétique et précise, attentive à recueillir les événements muets de la nature, permet d’accompagner de façon plus touchante encore l’effondrement progressif d’une existence pour laquelle les mots et leurs références deviennent de plus en plus incertains et qui s’enfonce inexorablement vers le tranquille silence des choses.
Autour de la construction de cette figure paternelle, l’acteur-scénariste-réalisateur a entortillé une autre thématique, celle de l’homophobie sommaire et primaire. En effet, le fils qu’il incarne, John, pilote de ligne après une carrière dans l’armée, est supposé vivre en couple avec un infirmier, Eric (Terry Chen), avec qui il aurait adopté une jolie fillette, Mónica (Gabby Velis). Une image de couple qui déchaînera les sarcasmes du père et entretiendra ses attaques incessantes visant, depuis l’adolescence de celui-ci, la masculinité de son fils. Un scénario qui se reproduit au contact des grands enfants de la sœur de John, en pleine traversée incertaine de l’adolescence. En associant ainsi profession non intellectuelle (le père était paysan), puis dégénérescence sénile, à une homophobie forcenée, Viggo Mortensen se livre certes à une claire dénonciation de ce penchant intolérant, mais la démonstration semble, pour le coup, un peu lourde et appuyée.
Un choix d’autant plus regrettable que ce manque de subtilité dilue l’approche pourtant aussi précieuse que nécessaire des problématiques attachées au grand âge et à ses risques. Sur un même thème, on songe inévitablement avec nostalgie à un prédécesseur bien plus obscur, mais autrement plus profond et radical, le superbe « Fear of falling » (2012) de Bartosz Konopka (https://www.senscritique.com/film/Fear_of_Falling/388829)… Autant le long-métrage polonais osait montrer, dans la vie du fils, l’étendue de la déflagration provoquée par la dégénérescence du père, autant Viggo Mortensen oppose un visage raide et figé, exagérément calme - quoique succinctement justifié et très brièvement perturbé - aux folies et invectives paternelles.
La force de cette réalisation américano-canadienne repose sur les brèves incursions dans la psyché à la dérive d’un homme déclinant, mais les figures et les discours entourant ce pilier en voie d’effritement manquent de consistance et de force. Une envergure que conserve seul celui qui est en train de sombrer.