Orchestre Fantasiharmonique de Walt Disney

Fantasia, c'est cette oeuvre qui débarque de nulle part il y a maintenant 80 ans, cette oeuvre monumentale complètement différente des autres productions Disney.
Il y aurait beaucoup à dire de ce film, mais je vais tenter de restreindre la longueur de ma critique.


Nous sommes en 1937 quand Walt Disney, après le succès de Blanche-Neige et les Sept Nains, se lance dans une adaptation ambitieuse de L'Apprenti Sorcier, poème symphonique écrit par Goethe en 1797 et mis en musique par Paul Dukas en 1897. Alors que Mickey Mouse, personnage phare de Disney, connaît une période difficile en raison de l'engouement des enfants pour le personnage secondaire de Donald, le réalisateur voit dans ce projet l'opportunité de relancer le succès de sa petite souris. C'est aussi l'occasion de faire découvrir à son jeune public la musique classique sans risquer de les offusquer en leur imposant sa propre représentation visuelle des pièces musicales sélectionnées


Partant d'un court-métrage musical, le projet devient plus ambitieux et se transforme en une « série d'interprétation en animation de thèmes musicaux » destinée à être représentée dans des salles de concert. Mais malgré cette ambition, Fantasia réalise un faible résultat financier à cause de la Seconde Guerre et du manque de succès en Europe. L'ambiance de déception qui règne dans le Studio Disney le conduit finalement à une grève en juin 1941, après laquelle de nombreux animateurs finissent par démissionner. Pour pallier cet échec, Walt Disney se voit dans l'obligation de concevoir une version écourtée et plus accessible de Fantasia. Notons que parmi les séquences supplémentaires prévues pour le film, on trouve celle pratiquement achevée du Clair de lune de Claude Debussy, qui a put être restaurée et finalisée en 1996.
Mais la version qui nous est parvenue demeure celle de 2h, qui est, effectivement, particulièrement longue pour un film d'animation (à titre indicatif : Dumbo et Bambi sont deux fois plus courts). Et je pense que c'est là le principal défaut de Fantasia, c'est de ne pas parvenir à maintenir ses spectateurs dans cet état admiratif pendant toute la durée du film. Au bout d'un certain temps, les séquences commencent à sembler longues et cet aspect expérimental des premières scènes vient à manquer.


Dès le commencement de Fantasia, nous nous retrouvons dans une salle de concert, assis parmi le public. Les musiciens s'installent, les instruments s'accordent, puis le chef d'orchestre se tourne vers nous pour nous présenter le programme et nous expliquer les trois genres de la musique. Selon ses dires, il y aurait la musique « narrative », qui raconte une histoire, la musique « illustrative », qui évoque une ou des images, et la musique « absolue », qui n'existe que pour elle-même.
Chacun des sept actes qui constitue le programme présente un nouvel univers et une nouvelle histoire, mais également une nouvelle pièce musicale. Entre les actes, le chef d'orchestre et narrateur du film réapparaît à l'écran, comme une ombre chinoise, pour nous expliquer en quelques mots la prochaine séquence et l'histoire de l'oeuvre musicale qui va suivre.


Fantasia se veut une véritable expérimentation artistique, alliant musique et animation de manière harmonieuse, dans un film pratiquement muet. Notons qu'il réalise un véritable exploit technique au niveau sonore, grâce au procédé du Fantasound, développé expressément pour le film et qui permet pour la première fois dans les salles de cinéma de déployer un son stéréophonique.
Mais s'il est difficile aujourd'hui de prendre conscience de la qualité sonore de Fantasia, nous pouvons par contre admirer le travail graphique et créatif réalisé tout au long des séquences.


Pour davantage de clarté, j'ai choisi de rédiger ma critique en la subdivisant en sept parties, une pour chaque séquence du film. En effet, malgré le fil conducteur de la musique et de la nature, chaque séquence se démarque complètement des autres, tant par la technique que le courant musical.



  • Première séquence : Toccata et Fugue en ré min de Jean-Sébastien Bach, représentation de la musique dite « absolue »


Si utiliser la Toccata de Bach comme ouverture est assez habituel, j'ai trouvé le choix de commencer par cette scène très audacieux. Nous comprenons rapidement dans quelle aventure nous nous embarquons lorsque des lignes, des courbes et des ronds apparaissent à l'écran, parsemant le fond noir de lumières et couleurs. Tout semble très abstrait, jusqu'à ce que l'on commence à distinguer des étoiles, des nuages, des montagnes et un soleil de feu. Il semblerait alors que cette scène cherche à évoquer les forces de la nature qui se déferlent.



  • Deuxième séquence : Casse-noisette de Piotr Illitch Tchaïkovski


Etant une grande admiratrice de la musique de ce compositeur russe, Disney m'aurait beaucoup déçue en choisissant de représenter ses dinosaures à ce moment-là.
Mais heureusement, il réalise une magnifique séquence débordante de créativité, où chaque élément de la nature parvient à prendre vie, dans un élan doux et gracieux. Chaque fleur, pétale ou champignon se voit attribuer une personnalité et un caractère propre. Les champignons chinois un peu ronchons, les fleurs danseuses de ballet sur l'eau. Le montage des différentes séquences avec la longueur des transitions permet de transmettre cet aspect merveilleux et mystérieux de la nature en mouvement. Notons le travail sublime réalisé sur le pissenlit et sur les flocons de glace qui miroitent à la lumière. Notons aussi cette ressemblance entre les poissons et un autre personnage Disney, que vous reconnaîtrez peut-être.



  • Troisième séquence : L'Apprenti sorcier de Paul Dukas, représentation de la musique dite « narrative »


Mickey se met à diriger les balais pour ne plus avoir à travailler, mais il s'endort et rêve qu'il peut contrôler les étoiles, la mer et les nuages. Les balais poursuivent leur tâche sans s'arrêter et finissent par inonder la pièce, alors Mickey se réveille et se met à détruire les balais pour qu'ils cessent de remplir le réservoir d'eau. C'est alors que les bouts de bois reprennent vie et continuent d'inonder la pièce... Mickey tente désespérément de trouver une formule pour rétablir son mal, mais en vain ! Heureusement le maître sorcier Yensid finit par arriver et sépare l'eau en deux pour se frayer un chemin, tel Moïse...
Cette fameuse séquence à l'origine du projet Fantasia est l'une des rares à m'avoir marquée lorsque j'étais enfant. Après avoir revu le film, je trouve qu'effectivement, la scène est particulièrement épique. Elle nous invite à être responsables et à ne pas reléguer nos tâches à autrui.



  • Quatrième séquence : Le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky


Après avoir vu plusieurs représentations scéniques de ce ballet hors du commun, j'ai été bien déçue par cette séquence.
Comme nous l'explique le chef d'orchestre, c'est la science et la nature qui en ont rédigé le scénario, représentant la naissance de la Terre et de la Vie et l'évolution des premières espèces.
J'ai particulièrement apprécié l'image des volcans qui entrent en éruption au rythme des percussions du Sacre, le vol des ptéranodons qui partent chasser devant un ciel superbement coloré, ainsi que le travail de l'eau et de la roche qui s'effondre avec la dérive des continents en fin de séquence. Les rapports de force entre les différents êtres vivants sont représentés sans chercher à masquer la réalité. La scène de bataille entre les deux dinosaures est d'ailleurs particulièrement violente dans un film pour enfants...
Mais ce qui me dérange vraiment dans cette séquence, c'est sa durée de 22 minutes. Nous sommes tout juste à la moitié de Fantasia et le film commence à s’essouffler.


Entre la quatrième et la cinquième séquence, les musiciens de l'orchestre font une pause, le rideau se ferme, puis s'ouvre peu après. Les musiciens accordent leurs instruments et réalisent un petit interlude de swing.
A cet instant plus que jamais, le quatrième mur se brise. Le chef d'orchestre nous présente le son et montre comment sa représentation peut se transformer en image en fonction du timbre des instruments. On ne sait pas trop si on vient à présent d’atterrir dans un cours de dessin ou d'acoustique, mais on finit par se laisser convaincre par ce long moment de flottement.



  • Cinquième séquence : La Symphonie Pastorale de Ludwig van Beethoven


Il s'agit de la deuxième séquence qui m'avait particulièrement marquée lorsque j'étais enfant, en particulier la scène de tempête, que je trouve encore très violente aujourd'hui.
En effet, Fantasia nous dévoile un univers hors du commun, empli d'inventivité et de grâce, qui ravira tous les amateurs de mythologie. Malgré ce côté encore trop sombre et inquiétant, la séquence nous offre une grande diversité de couleurs. Les personnages sont à la fois sympathiques et raffinés, les femelles centaure ont une démarche sublime (des seins nus, dans un Disney?). Les dieux gréco-romains sont aux commandes de toutes les intempéries, de Zeus qui lance des éclairs, à Nyx qui couvre le ciel d'un rideau bleu nuit.
Mais toutes ces idées et cet univers mémorable ne suffisent néanmoins pas à retenir complètement notre attention. Peut-être aurait-il fallu une nouvelle scène plus courte et plus abstraite à cet instant, afin de compenser la longueur des deux précédentes ?



  • Sixième séquence : La danse des heures, ballet tiré de La Gioconda d'Amilcare Ponchielli


Ce passage est probablement le plus humoristique du film. Nous nous trouvons face à un ballet d'animaux, tous à l'apparence lourde et encombrante (autruches, hippopotames et éléphants), mais qui parviennent à renvoyer un aspect gracieux, grâce à la fluidité de leurs mouvements et au décors vénitien.
Notons ce travail réalisé sur le graphisme et l'animation des personnages, ainsi que sur la transparence des tutus, et ce petit clin d’œil à Dumbo, avec les éléphants qui font déjà des bulles.



  • Septième séquence : Une nuit sur le Mont Chauve de Modeste Moussorgski et l'Ave Maria de Franz Schubert


Les deux pièces musicales sont mises en opposition dans cette dernière séquence, qui illustre donc deux univers complètement différents.
D'un côté, le monde obscur du démon Chernabog, qui possède tous les éléments pour traumatiser les enfants. Déversant son ombre maléfique sur un village, les morts se réveillent et leurs esprits s'envolent dans une aura macabre. La technique d'animation des fantômes est magnifique, les créatures de feu qui se meuvent, la variété de couleurs des flammes, tous ces mouvements effrénés de diables et de monstres... Cette séquence mouvementée est sans nul doute l'une de mes préférées, bien que le calme finisse par s'installer.
Accompagnée par l'Ave Maria, une procession de flambeau longe une berge, très lentement et calmement. Les arbres dans la brume sont particulièrement réalistes, les teintes de bleu sont magnifiques, l'effet de la caméra multiplane sur les différents plans est particulièrement réussi.


Fantasia se clôture de toute évidence en beauté. Et il suffit que j'écrive ces mots pour avoir envie de revoir le film, une fois encore. Parce que Fantasia ne peut être considéré comme un simple dessin animé qu'on fait voir aux enfants pour les occuper.
Malgré toutes ses longueurs, il demeure à mes yeux un chef d'oeuvre, probablement aussi parce que j'adore la plupart des pièces musicales sélectionnées et que les entendre me procure toujours beaucoup d'émotions.


(Et j'espère que malgré toutes les longueurs de ma critique, quelqu'un finira un jour par la lire).

Lilymilou

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