Je ne sais pas si Fargo est le meilleur film de frères Coen, et à dire vrai, j'en suis même peu convaincu tant les deux frères m'avaient déjà époustouflé par des films extraordinaires comme The Barber, Burn after reading ou O'brother qui sont à bien des égards supérieurs au film présent. Cependant, je dois reconnaître que Fargo est peut-être avec No country for old men l'oeuvre des frères Coen qui présente le mieux les obsessions, et la même thèse, lancinante et sanguinolente, pour la violence qui reviennent régulièrement dans leur immense oeuvre cinématographique. Comme très souvent, l'histoire commence par une sombre escroquerie à la rançon : un vendeur de voitures d'occasion organise l'enlèvement de sa propre femme en promettant à deux hommes de main sanglants la moitié de la rançon versée par le père, milliardaire, de l'épouse. Comme toujours, le personnage principal est un médiocre goy blanc à la virilité inexistante, d'un égoïsme terrifiant et auquel la situation va très vite échapper, pour dégénérer dans un massacre aussi extravagant qu'absurde, sans que la raison ne puisse y expliquer quoique ce soit. A côté de cela, une commissaire de police représente le bien, empêtré dans son quotidien, et qui pourtant avance inexorable dans le paradis blanc du Minnesota pour résoudre l'affaire, en concluant l'enquête par une phrase d'une banalité affligeante, et quelque part en témoignant d'une certaine insensibilité tout aussi cruelle que celle des méchants de l'histoire. Le film est à la fois un essai sur la violence, imprévisible et hystérique, sur l'absurdité de notre société et sur la déshumanisation de l'homme occidental.
Outre le très efficace humour juif des Frères Coen, absurde et noir, outre un jeu d'acteurs formidable, notamment de Frances McDormand, des plans époustouflants, le mystère demeure cependant : d'où vient la violence si présente et si glaçante de la nature humaine ? Certaines références quasiment mystiques renvoient au calvinisme ou au judaïsme, mais pourtant devant les yeux ébahis des spectateurs se déroule le ballet incessant des tueries, des morts et des coups. Les Frères Coen semblent dans toutes leurs oeuvres tenter de résoudre ce mystère, celle d'une violence inexorable et complètement vide de sens, qui rythme les existences et les fracasse d'un moment à un autre. Parfois même, je me demande s'ils ne cherchent pas à tenter de percer les mystères de la Shoah. L'alternance entre des scènes d'une fureur glauque et des scènes glaciales et pourtant si légères, est d'une efficacité redoutable, en témoignant d'un cynisme et d'une clairvoyance tragique d'une rare intensité. Cette oeuvre, pleine de symbolique, se fond dans un blanc givrant et oppressant, laissant éclabousser des tâches vermeilles comme pour rappeler à l'homme sa mortalité, sa stupidité et sa grande vanité. Memento Mori pourrait être la devise des frères Coen, et Fargo leur profession de foi.