F&F, une étude intégrale, 6/8 : Dr Métaphor t'explique le film

[Avec plus de 5 milliards de recettes, F&F figure dans le top 10 des sagas les plus rentables de l’histoire du cinéma. L’occasion de pleurer sur le septième art, de se questionner sur ce qui fait son succès, ce qu’il dit du monde qui la plébiscite et de son évolution au fil des exigences fluctuantes du box-office. Une saga critique en huit parties]


Alors qu’il est de bon ton de traiter par le mépris l’entertainment grand public produit par Hollywood, il est temps de s’interroger les raisons d’un tel phénomène, dont le succès croissant ne s’est jamais démenti. Prise dans sa globalité, la saga Fast & Furious excède largement le divertissement décérébré que certains lui prêtent ; radiographie d’une œuvre qui dit l’air du temps, sous la houlette du Dr Metaphor.


Fast and Furious, dès son titre, annonce un programme qui cerne à lui seul tous les enjeux d’une jeunesse en plein élan, et dont les moyens et la fougue effraient la génération qui les voit grandir. La vitesse, l’exhortation à l’action sont ainsi autant de démentis apportés à cette idée reçue qui voudrait que les spectateurs restent avachis sur leur seau de popcorn.


La saga invente ainsi sa propre langue : piochées dans les différents volets, les citations résonnent comme des mantras que la foule pourrait reprendre en cœur : Let’s go, Let’s do this, Let the party begin (FF2), Let’s make some money (FF4), You only live once, lets do this! Let’s kill this son of a bitch (FF5), Let's go hunting, Let’s catch this mother fucker, Let’s end this thing (FF6), Showtime (FF7), Zombietime (FF8)… Et hors de ces injonctions, la mécanique se charge du sens : c’est un coup d’accélérateur à un feu rouge et un regard qui annoncent toute la rivalité à venir.


Car la piste qui s’offre aux protagonistes est évidemment celle de l’expérimentation de la liberté, contrainte par la signalétique (feux rouges, barrières métalliques, sens interdits, ponts, virages acérés) d’un Etat coercitif. La figure du père relève ainsi d’un double mouvement paradoxal : il est celui qui pèse (le décès de celui de Toretto, l’interdit de la figure d’autorité qu’est le militaire pour Sean Boswell dans FF3), freine, avant d’apporter la caution pour l’élan final, par la voiture héritée ou l’aide apportée grâce à une arme rutilante. Il est dès lors aisé de comprendre la part belle accordée à la question familiale : Toretto recrée sa propre famille, multiculturelle et fondée sur des talents, lieu d’élection à l’abri de la loi, voire utopie en opposition avec elle.


Les forces antagonistes se caractérisent toujours par le cynisme : elles ne désirent que l’enrichissement personnel (tous les mafieux jusqu’au 5ème volet), puis la mise en danger du monde par des dérives technologiques, autre signe des temps qui mis entre les mauvaises mains, conduisent le monde à sa perte. Les héros de FF font ainsi figure d’une forme de pérennité de valeurs ancestrales : la force physique, le talent réel, et presque artisanal de la conduite, le sens de la famille. Pas étonnant, dès lors, que les rivaux qui les égalisent presque finissent par rejoindre la bande, ainsi des personnages de Hobbs ou Dekhard Show.


La mise à mal du système permet donc toutes les voies de traverse : Toretto et sa bande passent aisément de la condamnation à l’amnistie, tant leur expérimentation inconditionnelle de la liberté les rend invulnérables – et donc utiles à ce même système qui en fait autant des parias que des héros, motif traditionnel de la schizophrénie tragique du superhéros. En découle un statut quasi divin qui fait rivaliser nos chevaliers mécaniques avec les figures épiques ancestrales : “This guy is old testament », dit-on de Hobbs dans FF7, avant que Toretto ne mette à jour les compteurs en faisant s’écrouler tout un bâtiment de béton par la seul force de son poing.


Mais les dieux font aussi l’épreuve de la lucidité. Volontiers taiseux, Toretto est dépositaire d’une sagesse que tous lui envient : son expérience de la vitesse, déjà mentionnée, est une suspension du temps (la fameuse époché grecque) dont il connait les limites. Aux conseils de sa compagne (Run, before it's too late. Leave Rio. You can be free) ou sa sœur (Let this go. Before it's too late), il répond avec la sagesse triste de celui qui sait : Running ain't freedom. You should know that / It's already too late.


La seule véritable possibilité d’être au monde résulte dans cette instabilité assumée qu’est, dans l’héritage de Montaigne, cette éthique du mouvement. Ride or die, ce mantra, ne doit pas être compris comme une conduite ordalique qui déguiserait des tendances immatures et suicidaires. C’est, au contraire, une véritable esthétique par laquelle la saga va fonder toute sa vigueur cinématographique. (N’oublions pas que l’étymologie même du septième art trouve sa racine dans Kiné, le mouvement.) C’était déjà la façon d’être au monde de Brian : rouler en marche arrière tout en brandissant un doigt d’honneur salvateur au compagnon qui le poursuit, ou encore sans regarder la route pour honorer une splendeur latino de ses yeux, slalomer en sens inverse sur une autoroute où les moutons du système restent dans les voies auxquelles on les assigne.


La mise en scène, jubilatoire, prend en charge ce formidable élan : dès les premiers volets, la caméra s’introduit dans la rutilante mécanique et filme comme un orgasme l’injection de l’azote dans les pompes, pénètre les pare-brise, le GPS lui-même pour donner à voir l’osmose entre le pilote et son bolide. La gestion du temps (les ralentis sur les hanches des danseuses venues admirer les coureurs, l’accélération en travellings compensés, les à-coups brutaux et clipesques) mène cette esthétique au sommet d’un programme qui met entre parenthèses la contrainte fondamentale qu’est le cadre spatio-temporel. On comprend mieux les raisons pour lesquelles les travellings sont si fréquents, allant jusqu’à filmer une conversation téléphonique à 360° : Fast & Furious, loin de détruire le monde ou d’en contester les règles, sème dans le sillage de ses bolides des fumerolles de beauté et d’élans vitaux salvateurs.


La suite, c'est vendredi prochain.


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Sergent_Pepper
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le 5 oct. 2018

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