"Débuté en 1968, le tournage s’étale sur trois années. L’équipe, constituée de quatre personnes, se rend Kenya, en Ouganda puis en Tanzanie (ancien Zanzibar) où Herzog souhaite filmer Jon Okello, ancien général Mau-Mau qui, à la tête d’un groupe armé de trois cent hommes, a renversé en 1964 le sultanat installé par le Commonwealth l’année précédente. Mais Okello est alors emprisonné et Herzog, inquiété par les autorités, doit abandonner cette idée. Les discours d’Okello inspireront les paroles d’Aguirre quelques années plus tard. L’équipe traverse ensuite le Sahara algérien, les montagnes de Hoggar, le Niger. Herzog choisit pour y filmer la saison la plus chaude car c'est la plus propice pour filmer les mirages. Mais c'est aussi la saison la plus dangereuse à cause des pluies, des coulées de boues et des tempêtes de sable. Il se rendent en Côte d’Ivoire où un homme prétendant être Jésus Christ a construit une cathédrale dans une lagune (Herzog y enregistre les chants d’une procession qu’il utilisera dans Les Nains aussi ont commencé petits) puis gagnent le Cameroun où ils sont arrêtés. Le passeport du chef opérateur Jörg Schmidt-Reitwen indique seulement Reitwen, qui se trouve être le nom d’un allemand condamné à mort par contumace pour avoir participé à une tentative de coup d’Etat. Ils sont jetés en prison, dans une geôle de trente mètres carrés où croupissent une soixantaine de détenus. Ils assistent à des scènes de torture, à la mort d’un homme tombé dans le coma et dont le cadavre reste deux jours dans la cellule avant d’être retiré. Relâchés, Herzog et Schmidt-Reitwen poursuivent seuls le tournage. Epuisés - Herzog est atteint de paludisme, Schmidt-Reitwen de bilharziose-, ils tournent le film comme prisonniers d'un songe dont ils n'arriveraient pas à se détacher."
Source : http://www.dvdclassik.com/critique/fata-morgana-herzog
Ça m'a bien éclairé de comprendre, seulement après coup, que Fata Morgana faisait référence à un certain type de mirage. Sur le coup du visionnage innocent, je fus confus : la confusion du mirage qui s'impose sans se présenter, comme un appel bizarre et non dirigiste au décalage. Instant précieux. Aussitôt qu'on sait, que c'est un mirage, le mirage n'est plus.
Le mirage, il est peut-être bon de n'en rien savoir, d'abord, pour en saisir plutôt l'effet émotionnel. En l'occurrence : rires nerveux de l'ennui entrecoupés de petits bâillements. Et tentative de m'accrocher à la voix off pour en dégager un sens, qui me dit vers le milieu : "au paradis, les hommes n'ont pas d'ombres, et les paysages n'ont aucun sens profond."
Voilà qui règle en partie l'affaire : on voit venir l'idée que le mirage est dans le sens, dans la transformation du réel insensé en réalité signifiante. Or dans les effets d'optique, de montages, de plans, la caméra propose ses propres mirages, et de ce fait nous propose un regard d'homme conscient de ses tendances hallucinatoires. Que faire de ces hallucinations, alors, si ce n'est jouer avec leur pouvoir d'évocation ?
Le décor est celui du Sahara. Décor, et personnage principal, en quelque sorte, puisque dans un jeu habile de la caméra sur les distances, les angles, la lumière, la distorsion de la chaleur, les mirages du documentaire sont ceux de l'activité humaine. À commencer par la scène d'introduction : Werner Herzog insère 8 atterrissages d'avions qu'il a filmé à l'aéroport de Munich, entre 5h du matin et 2h de l'après-midi. La chaleur montant sur le tarmacadam, le dernier avion prend des allures d'oiseau de feu.
Le documentaire est classé sur Senscritique dans les catégories Comédie et Drame. Ça se défend. Moi j'aurais dit : documentaire de science-fiction. Le film commence sur les atterrissages, 4min30 d'atterrissages, et enchaîne aussitôt sur des carcasses d'avion dans le désert. La voix off, tout au long du film, nous raconte la création du monde, et l'installation de la vie, en trois parties : Die Schöpfung (La création), Das Paradies (Le paradis) et Das goldene Zeitalter (L'âge d'or). Herzog, sur le rythme de cette voix, filme le désert à sa manière, comme un monde étrange pas loin d'être extra-terrestre, qui nous parle pourtant. L'idée initiale était de tourner un film de science-fiction, sur la découverte d'une nouvelle planète qui se révelerait finalement être la terre. Mais devant le pouvoir d'évocation des paysages, Werner Herzog passe à autre chose.
Des carcasses d'avions donc, et des carcasses d'animaux, et des villes et des structures, de terre, de fer, sans l'homme. Et l'activité humaine parfois, toute ondulée dans les distorsions de la chaleur. Ou en processions comme des ruminations d'étourneaux. Ou en gros plans, bizarres. Et cette question d'un type dans les bonus du DVD : "entre la machine et la charogne, où est l'homme ?"
Herzog le présente de manière moins mortifère : « Ce que je recherche dans les paysages en général, dit-il, c’est un endroit décent pour l’homme » ... J'entends : pour avoir une vie décente, autant que pour se comporter décemment sur le paysage qui accueille. Projet utopique, impossible, au paradis ne peut donc succéder que l'âge d'or déjà comme une chute.
La voix off raconte la création laborieuse, à coup de tentatives ratées d'installer la vie. Cette première partie est tirée du Popol Vuh, un texte sacré des indiens du Guatemala (les Quichis) datant du XVIème siècle. Dans le Popol Vuh, la création est une succession d’échecs. L'éclair vert donne la vie depuis le ciel, puis la reprend pour un nouvelle essai. Devant la carcasse de l'avion on se demande : est-ce le début ou la fin ? Pire, les dieux nous ont-ils abandonnés ? Documentaire post-apocalyptique ? Ou de (re)fondation ? Sommes-nous toujours dans le cycle des créations, ou dans l'ultime ligne droite ?
On regarde ensuite le paysage, étrange et plein d'émotions inhabituelles, sur du Leonard Cohen, et on s'y cherche une place décente, idéale, un endroit ou une manière de placer le regard, une posture, qui semble devoir passer, d'après la voix-off (texte ici écrit par Herzog), par l'absence (inimaginable) du nom, et même du visage. Ce serait le paradis.
Et puis l'âge d'or, dernière partie, on rigole enfin : l'homme qui entreprend, qui collabore ; l'homme dont la naissance, la venue au monde (la revenue au monde ?), est aussitôt comme une (nouvelle ?) chute, dont il passera sa vie à se relever. Il faut en rire, pour tenir. Trouver des décalages pour survivre. Ne pas craindre le ridicule de la lutte contre la fatalité.
https://youtu.be/fOSCftwbpvA