Poème filmique aux allures de genèse biblique Fata Morgana constitue l'une des plus belles propositions de cinéma du grand et fascinant Werner Herzog. Documentaire présenté sous la forme du conte métaphysique ce Mirages figure parmi les plus beaux morceaux de bravoure de la contemplation cinématographique, bouleversant complètement notre condition de spectateur et de cinéphile. Une oeuvre lente, dilatée, superbe et tout à fait grisante en définitive.
Fata Morgana s'ouvre, à la manière d'un disque rayé, sur une répétition de plans d'avions sur le point d'atterrir : retour vers une certaine idée des origines, sur un continent aride, pratiquement calciné ; ces plans inauguraux semblent comme déformés, fulminant de l'intérieur pour une invitation à l'hypnose, vers une première partie tout simplement belle à pleurer. Les trente premières minutes de Fata Morgana sont un chef d'oeuvre à elles-seules, peu verbeuses et visuellement intenses : il s'agit bien de Création, au détour de plaines désertiques et de mers invisibles, d'humanité ni tout à fait présente, ni tout à fait absente, d'animaux et de vestiges osseux. Un premier chapitre cyclique et totalement mirifique, élevant littéralement l'esprit et les sens...
La seconde partie du récit herzogien, intitulée Le Paradis, s'inscrit dans la continuité de la première, plaçant davantage l'Homme au coeur de cette savoureuse méditation. La musique se fait moins lyrique, plus folklorique et prosaïque ; la voix-off, quant à elle, se fait moins discrète et plus soutenue, et les narrateurs changent d'âge et de sexe... On discerne encore et toujours les fantômes de la Création au profit d'un optimisme souvent très attrayant, Herzog mêlant l'ombre à la lumière dans une photographie radieuse. Un aspect fortement philanthropique se dégage de cette partie centrale, résolument somptueuse et homogène.
C'est alors qu'un troisième et dernier chapitre, au titre évocateur d'Age d'Or, vient clôturer cette promenade sidérante proposée par le cinéaste : litanies musicales, bribes d'images zoologiques, visions irréelles de voitures flottantes sur les mers désertiques... L'Age d'Or potentiel du Septième Art, celui d'un cinéma européen en pleine apogée de son talent et de sa liberté. Un Werner Herzog dépassé par son propre sujet, amenant Fata Morgana et son spectateur vers un étonnement inespéré. Un véritable objet d'extase !