"Il y a des films qui vous changent pour toujours, Faust est l'un de ces films" disait Darren Aronofsky en remettant le Lion d'Or de la 68e Mostra de Venise à Alexander Sokurov. Comment être moins dithyrambique sur la travail d'un réalisateur. "Faust" devient alors un film immortel - Sokurov a laissé son empreinte sur le monde. Aronofsky a raison de rapprocher "Faust" de ces films qui vous changent. Ce film s'inscrit dans la lignée de ces films qui se voient au cinéma, mais qui se comprennent et surtout se savourent dans les méandres de notre pensée. Ce genre de films marque car nous avons en quelque sorte une deuxième projection, mentale celle-là, dans laquelle nous prenons ce qui nous a plu et oublions les moments d'incompréhension à la limite de l'ennui.
Sokurov se place en défenseur du cinéma. C'est grâce à des films comme le sien que l'on comprend l'appellation de "7ème art". Il fait partie de ces réalisateurs-peintres, dont le maître incontesté est la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion. "Faust" ne se regarde pas, il se contemple. Il suffit de voir la composition des plans de Sokurov. Chaque détail est à voir. Les lignes fuient, les objets racontent des histoires, les personnages se meuvent pour donner un esthétisme à ces corps. Mais contrairement à Campion, Sokurov ne trouve pas la beauté dans la beauté (rappel: la végétation omniprésente dans les films de Jane Campion - de "La Leçon de Piano" à "Bright Star") mais dans le difforme, dans la misère. C'est un esthétique de la laideur, du grotesque. Méphistophélès devient le reflet d'un personnage de Todd Browning ("Freaks, la Monstrueuse parade" - 1936), croise le John Merrick de Lynch. Mais rien ne repousse le spectateur. La beauté du morbide a cette capacité d’envoûtement que le véritable beau ne possède pas ou rarement. C'est l'arrivée du personnage de Margarete qui apporte au film la lumière, la beauté. Sa beauté divine sera la ruine. Le beau engendrera le laid visuel, mais aussi spirituel (la désolation, la servitude).
"Faust" est une oeuvre majeure pour une autre raison. C'est l'essence même du cinéma qui s'y trouve. Sokurov est le cinéaste de tous les genres qu'il mélange avec force pour former un nouveau genre, le sien. "Faust" n'est autre qu'une romane en costumes sur fond de fantastique avec une approche expérimentale du cinéma. Dans la veine des réalisateurs russes du cinéma muet tel Eisenstein, la force vient de l'image. Sokurov déforme ses plans comme pour nous montrer que son art vient d'ailleurs, que le mal touche même l'écran, tente d'en sortir. Les déformations changent notre perception de cette réalité dans laquelle nous devons croire. Et montre également que tout n'est qu'illusion, artifice. Et cela n'est-il pas le principe même du cinéma ?
"Il y a des films qui vous changent pour toujours, Faust est l'un de ces films".