Fausta est atteinte d'une maladie rare : le lait de la douleur. Transmise par le lait de sa mère parce qu'elle fut violée pendant sa grossesse, cette affliction nous paraît d'abord distante et provoque notre jugement. Réflexe normal devant une superstition d'outre-mer.
Comme miroir à ce jugement qu'on porte, il y a le médecin local, pragmatique, qui voit dans la croyance le résultat d'une population privée d'éducation qui se réfugie dans l'illusion. Mais si le mal physique imaginaire était le symptôme d'un vrai mal situé ailleurs ? Pour Fausta, fantôme parmi les siens, effrayée comme une enfant, le lait de la douleur est une réalité de tous les jours dont rien, dans son environnement peu riche (dans tous les sens du terme), n'est capable de la sortir.
Le film nous condamne à contempler impuissants le résultat d'un traumatisme bien réel, le terrorisme qu'a connu le Pérou pendant des années. Autant que du viol des corps, la génération de Fausta est née du viol d'une nation. Dès lors, notre jugement est dissous. Il n'y a plus rien qui nous soit légitime de dire sur cette Lima désespérée où le mysticisme ne fait que rationaliser la douleur à sa manière. Autant laisser parler à notre place les montagnes nues et hautaines qui se demandent pourquoi les Hommes s'agitent tellement autour de miettes de bonheur quand ils sont les seuls responsables de sa rareté.
Avec un regard voulu traditionnel sur une modernité peinant à s'immiscer dans le Pérou moderne, Claudia Llosa nous questionne sur la frontière entre la blessure physique et morale. Traversant les cœurs et les générations, la douleur dont elle nous parle est nouvelle... à moins qu'on l'ait juste oubliée.
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