Prime Cut
On pourrait jurer qu'il s'agit d'une énième itération du film low budget nippon comico-gore de zombies mais bien heureusement, c'est plus que ça *. Le bon buzz galopant, de son succès au Japon...
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le 26 déc. 2018
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Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En plus, on m’a prévenu de rester au moins passée la première demi-heure parce qu’elle avait ennuyé beaucoup de critiques qui n’ont pas regretté de rester.
Bon.
Et puis finalement, même la première demi-heure m’a accroché. J’ai eu du mal à voir où l’œuvre se plaçait entre comédie et parodie, mais l’élément majeur du film est que ses 36 premières minutes sont tournées en une prise. Et je ne tarirai pas d’éloges à ce sujet : c’est proprement incroyable.
Pendant 36 minutes, il y a un fil scénaristique et un propos : la folie qui s’exprime par divers pétages de plombs, qu’ils soient romantiques ou obsessionnels. Mais ce propos… n’est pas le propos.
Pendant 36 minutes, une seule caméra tourne, et tout le temps. Autour d’elle s’agitent les acteurs, dont la performance est aussi sportive que filmique compte tenu de la distance qu’ils parcourent. Le timing doit être respecté à la seconde près, les effets soit loin d’être chiches, et il y a une sacré quantité de répliques. Vous me direz, c’est comme au théâtre, alors ? Oui, sauf que tout bouge, y compris le caméraman pour qui l’on a une pensée, lui qui fait le lien entre la fiction et la réalité… mais quelle réalité ?
Le film fourmille tellement que je n’ai même pas encore eu l’occasion de parler de l’histoire (à partir de là, il y a des spoilers) : une équipe de tournage réalise un film sur les zombies avant de se rendre compte qu’il y a vraiment des zombies qui les attaquent. Une confusion volontaire entre les faux et les vrais zombies, c’est là que se jouent les deux premiers niveaux du scénario. Et l’on comprendra pourquoi l’on peut être lassé de cette première partie, même si je n’y ai vu moi-même qu’une surhumaine performance ; en effet, elle tient du cinéma amateur. D’ailleurs, tout y est cheesy, le maquillage est trop présent, il y a des longueurs et des faux raccords. Mais avant de les intégrer dans une critique définitive, il faut compter sur les autres niveaux du scénario.
Après ces 36 minutes vient le bridge ; j’ai eu du mal à me raccrocher à l’histoire après ça, mais c’est là que le scénario s’époussette afin d’articuler le mélange des genres : comédie, parodie, horreur, mais aussi expérimental. C’est donc un mal mineur et nécessaire. Après ces 36 minutes, donc, on fait un bond en arrière d’un mois pour voir ce qui a mené à la réalisation du moyen-métrage : on découvre les personnages sous leur vrai visage. C’est le troisième niveau du scénario, et il va justifier la demi-heure suivante. Les protagonistes y deviennent attachants, chacun à leur manière, et l’idée tombe sur les épaules d’un petit réalisateur japonais (joué par un Takayuki Hamatsu tout à fait génial) : faire un film de zombies en une prise et avec une seule caméra.
Vous la sentez venir, la filmception en cascade ? Ça paraît abscons, présenté comme ça, pourtant le film ne cesse d’être limpide.
Après une demi-heure plus « standard » et humaine, on revient sur les lieux du tournage, cette fois-ci avec des éléments en plus : on sait qui sont les personnages, et pourquoi ils font ce film. On ne s’en rend pas compte au visionnage, mais les trois niveaux du scénario (le film de zombies, le tournage du film de zombies et le tournage du tournage du film de zombies) restent mélangés dans notre esprit pour nous rappeler que c’est un film brillant, si on ne s’en était pas déjà rendu compte.
La dernière demi-heure va donc retracer le tournage, cette fois du point de vue de l’équipe. On va découvrir que les 36 minutes avec une seule caméra étaient filmées, du coup, par une deuxième caméra. Le tout prend des airs de making of, et ce qu’on avait admiré dans la première demi-heure (timing, effets…) prend doublement du sens (ou, dans le cas où vous n’auriez pas aimé, la met en profondeur). Mais surtout, on va avoir le plaisir de voir se démêler les filmceptions : les faux raccords des 36 minutes ? Des faux faux raccords ! Les longueurs ? Des fausses longueurs !
Tout ce qui faisait relativiser la qualité de la première partie se révèle avoir été volontaire, exposant le génie du réalisateur tout en nous confrontant de la plus belle manière à notre propre suspension consentie de l’incrédulité. C’est un véritable cours de cinéma qui contient ses propres valeurs et son propre making of, qui fait rire et qui étonne. Avant tout, One Cut of the dead nous rend conscient de son tournage, et j’ai autant adoré l’histoire que de voir comment elle a vu le jour, car à aucun moment je n’ai eu l’impression que la technique l’emportait sur l’histoire ou vice-versa ; je me suis éclaté de bout en bout (le bridge exclu).
À ce stade du visionnage, j’étais déjà complètement ébourrifé, pourtant je n’étais pas au bout de mes surprises. Au générique, on revoit les mêmes scènes filmées par une troisième caméra, montrant que la façon dont le film de zombies (premier tiers du film) était censé être filmé (troisième tiers) n’était même pas conforme à la façon dont le vrai film (les trois tiers à la fois) a été fait en réalité…
La difficulté de concevoir un tel film me dépasse totalement, et j’en arrive à douter de pouvoir mettre du sens dans ces niveaux scénaristiques qui se mélangent. Est-ce que les faux faux raccords de la première demi-heure étaient tous voulus, ou bien étaient-ils parfois de vraies erreurs, incorporées ou non dans le scénario ? Le film fait réfléchir, et il nous fait aimer la réflexion.
Conclusion
Le scénario de cet OVNI a été écrit avec une intelligence quantique. Le film a été conçu avec un génie absolu du timing. Il a transformé ses caméramans et ses acteurs en marathoniens, sans jamais perdre de vue son propos ni son scénario. Il a été imaginatif, a su exploiter chaque sou du budget à la perfection pour équilibrer la comédie, l’horreur et l’expérimental d’une manière qui soit cheesy mais attachante et ne paraisse jamais trop amateur. Il a su gérer la technique pour qu’elle prime sur le reste sans jouer des coudes, pour que le film soit un cours de cinéma transcendant totalement l’idée de l’imperfection.
M’eussiez-vous mis sur le plateau de tournage, que ce soit en tant qu’acteur, caméraman ou scénariste, j’aurais perdu le fil en cinq minutes. Pourtant, j’ai vu le film, je l’ai adoré, et jamais je ne me suis senti confus. Il a toute mon admiration. Arigatō gozaimasu!
Créée
le 26 oct. 2018
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