Il est l'homme aux vingt tournois du Grand Chelem en circuit professionnel. Il est celui qui a triomphé huit fois sur le mythique temple du tennis de Wimbledon. Il est, avec ses deux autres compères membres du Big Three, Rafael Nadal et Novak Djokovic, unanimement reconnu comme étant l'un des joueurs les plus talentueux et les plus influents depuis l'entrée du tennis dans le monde professionnel. Alors, autant dire que le départ à la retraite de ce monstre, de ce géant, de cet apôtre du beau jeu méritait indubitablement un reportage de qualité pour lui rendre un hommage digne de ce nom. Asif Kapadia et Joe Sabia auront eu le mérite d'essayer de faire ce travail difficile mais indispensable.
Dans le milieu du documentaire sportif, Kapadia n'est pas un nouveau né. Déjà auteur des célèbres et reconnus reportages portant sur Ayrton Senna, Amy Winehouse et Diego Maradona, ce réalisateur sait ce que c'est que de traiter un sujet complexe et de rendre hommage à des virtuoses de leur art. Cependant, contrairement aux personnes susnommées, la tâche était ici d'une autre ampleur en ce qu'il s'apprêtait à évoquer un champion encore vivant et à limiter son sujet à ses douze derniers jours d'activité.
A mon sens, il s'agit déjà là d'une première erreur. Comment pouvoir ne serait-ce qu'aborder un fragment de la carrière d'une personne qui a révolutionné le tennis moderne en limitant à ce point le cadre traité ? Comment rendre un hommage juste et mérité à un tel champion en montrant seulement son crépuscule sans rappeler ses heures de gloire passées sur l'ensemble des courts de la planète ? Si on exclut une volonté de créer du pathos pour faire du pathos, le choix opéré ne semble pas tomber sous le sens.
En ce qui concerne les protagonistes, durant cette heure et trente minutes de documentaire, le spectateur se mêle à la vie de Roger Federer et de ses proches durant ses derniers jours d'activité. Il se joint à la famille de ce dernier lorsqu'ils prennent connaissance du message d'adieu au tennis du champion. Il est témoin des préparatifs concernant l'organisation du dernier tournoi du tennisman suisse, lors de la Laver Cup 2022. Il est surpris lorsqu'il aperçoit le lien si éloigné, et paradoxalement, si proche qui l'unit avec l'un de ses derniers rivaux, Novak Djokovic. Il est ému lorsqu'il assiste à la dernière danse du champion aux côtés de son meilleur ennemi, l'immense Rafael Nadal, aussi ébranlé que le néo-retraité lors de la parade marquant la fin de la carrière du suisse.
Là est d'ailleurs un des aspects positifs du show. Moins brillant que le documentaire Apple TV portant sur Boris Becker, Federer - Les douze derniers jours parvient tout de même à recueillir les observations et les commentaires de l'ensemble des champions précités, auxquels il faut rajouter Bjorn Borg et John McEnroe entre autres.
Cependant, malgré cette avalanche d'invités spéciaux et cette volonté visible de déclencher l'émotion chez le spectateur, le reportage sonne creux. Le documentaire est court et dure moins d'une heure trente. Pourtant, le spectateur s'ennuie au bout de trente minutes. Chaque action est étirée au maximum. Chaque léger événement est dit, redit et re-redit, histoire que celui qui regarde n'oublie pas qu'il s'agit de la dernière danse du champion suisse. Partant, plutôt que de magnifier les adieux d'une légende, le reportage finit par avoir l'effet inverse en faisant tomber le public dans une sorte d'apathie dont il ressortira seulement dans les dernières minutes du show.
On pourra se poser quelques questions, malheureusement laissées sans réponse. Pourquoi ne pas avoir fait le choix de mettre en lumière les plus grands moments de la carrière du génial Federer plutôt que de préférer se concentrer sur les relations familiales du héros bâlois ? Pourquoi ne pas avoir rappelé à quel point cet esthète des temps modernes était un joueur anachronique, plus porté sur la beauté des gestes que sur les résultats ? Enfin, pourquoi vouloir à tout prix céder à cette mode du pathos plutôt que de montrer le plus important : voir Roger Federer jouer au tennis ?
Partant, Federer - Les douze derniers jours devait être le documentaire sportif qui devait accompagner et mettre en lumière le crépuscule d'un immense joueur de tennis. Ce devait être le reportage qui devait illustrer l'idée du calme après la tempête. Finalement, nous avons simplement eu un torrent d'ennui agrémenté épisodiquement de scénettes intéressantes. Le calme sans la tempête.