L'histoire d'une rencontre
Pour être franc, je n’attendais rien de ce film. Invité à son avant-première et n’en n’ayant jamais entendu parler, je l’ai découvert avec son réalisateur Maxime Giroux, présent ce soir-là.
Dans la filmographie du Québécois qui partage mon prénom : cinq courts métrages, trois longs métrages dont deux drames, Demain et Jo pour Jonathan, qui n’ont jamais connu de sortie française. Félix & Meira est son troisième film. Meilleur long métrage canadien au Festival international du film de Toronto ainsi que Louve d’or au Festival du nouveau cinéma à Montréal, il prendra l’affiche le 30 janvier prochain au Québec.
Mais qui sont donc Félix et Meira ?
Félix, de son vrai nom François, est une sorte de clown triste vendeur de tapis qui aime les dessins de chats et les gondoles à Venise. Il vit le deuil de son père dans un petit appartement du quartier du Mile-End à Montréal, où se déroule la majeure partie de l’intrigue. Carrefour multiethnique, l’on y retrouve une importante communauté juive orthodoxe, dont les membres vivent en marge de la société ; hommes et femmes s’en tenant respectivement à leur ligne de conduite, leur doctrine religieuse.
Meira est une jeune femme juive hassidique, mère d’une adorable petite fille et mariée à Shalem. Celui-ci ne travaillant pas, il étudie des textes religieux en compagnie d’autres membres de la communauté et s’adonne à des prières quotidienne ainsi qu’au sabbat. Elle, dessine, joue « à la morte » dans la maison et écoute, en son absence, de la musique noire-américaine des années 1960. La même qui nourrissait à l’époque la contre-culture étasunienne.
J’aime à penser que les plaisirs artistiques de Meira la soustraient à sa condition de femme juive soumise qui n’a pas même droit aux regards échangés avec ses congénères masculins. L’art est, en un sens, l’expression de la rébellion, de l’envie de changer les choses. N’y aurait-il pas là, au travers de ses passions pour le dessin, la musique, l’annonce d’un changement, d’une mutation, d’une transition entre deux vies : celle que Meira vit et celle qu’elle aimerait vivre ?
Ainsi, elle rencontrera Félix, athée, en qui elle implantera un peu de foi. Foi qui germera ou ne germera pas, ça c’est à vous de le découvrir. Ce dernier lui offrira d’abord un dessin pour sa fille, puis un verre à son appartement. Son tintement ne recouvrira qu’une seule et unique pulsation de la musique qu’il lui fera découvrir : un bon vieux rock afro, puissant, qui bouge, qui swingue !
Félix rencontre Meira. Meira rencontre Félix. Et si, après tout, Félix & Meira n’était que l’histoire d’une rencontre et non l’histoire d’un amour, un amour naissant ? Un homme et une femme appartenant à deux univers diamétralement opposés s’éprennent l’un de l’autre, le scénario est déjà vu. Néanmoins, Giroux lui insuffle cette imagerie, ce regard naturaliste qui, à l’accoutumée, me déplaît fortement ; au cinéma, je préfère que l’on me montre ce que je ne peux voir au quotidien. Mais force est de constater qu’il fonctionne ici très bien, sublimant un peu la narration à grand renfort de beaux plans larges qui auraient bien tendance à nous faire oublier que le film n’est pas spécialement long (1 h 46) mais assez ennuyeux, voire assommant. Peut-être est-ce dû à l’absence quasi-systématique de musique extradiégétique pour rythmer quelque peu l’action. Si j’ai pu parler précédemment de bon vieux rock, les morceaux n’étaient que deux à se faire entendre. Et ils n’étaient pas extra mais intradiégétiques.
Je me souviens avoir détesté Les Amours imaginaires de Xavier Dolan, jeune prodige du cinéma québécois qui mettait, lui aussi, en scène une rencontre insolite de plusieurs personnages, quelques années plus tôt. Mais je me rends compte à présent à quel point sa mise en scène était autrement plus audacieuse que celle de Félix & Meira. Elle dégorgeait une couleur, une musicalité singulière et je suis passé à côté. Je ne m’en veux pas spécialement, Dolan n’est pas le genre de cinéaste dont je suis l’actualité. Toutefois, il est intéressant de confronter son œuvre à celle de Giroux, très similaire et pourtant si différente sur bien des aspects.
Les Amours imaginaires et Félix & Meira sont des portraits de personnages. Si Dolan dépeint d’insupportables bobos branchés soi-disant ouverts et cultivés, Giroux dépeint avec une modestie et un respect sans faille les membres d’une communauté à qui l’on ne parle pas, qui vivent auprès des Québécois mais ne sont pas vraiment là, avec eux. Et que Félix découvre au travers de Meira, sa fille et son mari.
Tous les comédiens ont effectués un travail remarquable pour camper ces individus aux motivations diverses et ce n’est pas tant leur talent que je remettrai en cause mais plutôt le traitement qui leur a été accordé. Je me désole déjà de contempler froidement la brochette de personnages génériques que nous vomit le cinéma français depuis la page tournée après la Nouvelle Vague. Alors j’en attends plus du cinéma international qui, lui, possède toutes les clefs en main pour habiter les silhouettes inhabitées, au moins de manière plus excentrique, voire déjantée. D’ailleurs, à la genèse du projet, le film devait être une comédie mais Giroux s’est rendu compte qu’il ne pouvait faire l’affront de rire de cette communauté. Alors il a bricolé le pseudo-drame qui fait l’objet de cette critique, ce qui est tout à fait respectable.
En conclusion, je n’aurai que très peu à vous dire : prenez le temps de découvrir Félix & Meira. S’il ne vous fait pas de l’œil pour son histoire d’amour sans surprises, il vous intéressera sûrement pour le regard assez neuf qu’il porte sur les communautés juives hyper orthodoxes qui se multiplient au Canada et partout dans le monde. Maxime Giroux a choisi de leur accorder du temps, de l’argent et de la pellicule pour que nous les connaissions mieux. Alors, pour saluer la démarche, rendez-vous au cinéma !