En adaptant très librement l'une des trois nouvelles du recueil Le Bel Été, rédigé par Cesare Pavese en 1949, Michelangelo Antonioni dresse un portrait de la bourgeoisie turinoise bien peu flatteur. Animé par le souhait de prendre à contre-pied la vague du néoréalisme sévissant sur les écrans italiens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le cinéaste s'intéresse essentiellement à un petit groupe de femmes riches, oisives et aussi cyniques que désabusées. Superficielles et arborant continuellement des attitudes d'adolescentes frivoles en quête d'émotions, ces Femmes Entre Elles ne sont guère passionnantes au premier abord. Mais ce premier ressenti est sans compter sur la fine analyse psychologique d'Antonioni qui va peu à peu dévoiler les personnalités de ses protagonistes dans une œuvre chorale qui s'avère finalement fascinante.
1955. Clélia, une jeune femme indépendante, aménage sur Turin, sa ville natale, pour y diriger une maison de couture. Le soir de son arrivée, elle est témoin de la tentative de suicide de Rosetta, sa voisine de chambre, puis se lie d'amitié avec les proches de cette dernière. En fréquentant assidument ce nouveau groupe d'amies qui semble solidaire, Clélia va se confronter à un univers malveillant, hypocrite et méchamment mesquin…
La légèreté, voire l'inanité, qu'aborde Antonioni durant la première demi-heure de son film masque en réalité un profond pessimisme scénarisé tel un puzzle dont les pièces, ajoutées les unes après les autres, révèlent le violent portrait d'une bourgeoisie sensée être respectable et irréprochable. Des hommes et des femmes masquant leurs fêlures au sein de malsaines mondanités et qui restent perpétuellement plongés dans la plus effroyable des impudences. Se pensant libre de toute effronterie de par son statut social privilégié, ce petit groupe ignore tout autant leur propre conscience que les affreuses conséquences que leur attitude provoque. Et si les hommes ne valent pas mieux ici que les femmes (excepté le séduisant Carlo incarné par Ettore Manni, qui paiera âprement le prix de ses sentiments envers Clélia), Antonioni abat néanmoins une dernière carte particulièrement inattendue avec un message féministe de haute volée.
Femmes Entre Elles est donc une surprenante mosaïque dont le verni se voit pernicieusement gratté par un cinéaste qui maîtrise de plus en plus le fond de son propos et qui ne va pas tarder à offrir de véritables chefs-d'œuvre à son public.