Devenue aujourd'hui une oeuvre incontournable du cinéma d'Alfred Hitchcock, Fenêtre sur Cour n'a pas volé sa réputation. Porté par un James Stewart, stéréotype de l'acteur-aventurier américain machiste et une Grace Kelly qu'on ne présente plus, le film joue avec les codes d'un cinéma théâtralisé et inspirera 19 ans plus tard La nuit américaine de Truffaut.
Le film, adapté du roman "It had to be Murder" de Cornell Woolrich prend toute son ampleur grâce au cinéma. Il narre les aventures d'un photographe cloué à sa fenêtre, par une blessure l'empêchant de se déplacer. Pour faire passer le temps, le héros prend un malin plaisir à épier chacun de ses voisins grâce à des jumelles. Jusqu'au jour où il soupçonne l'un des voisins d'avoir tuer sa femme, mais ne peut enquêter à cause de sa fracture de la jambe.
En paralysant James Stewart, le film s'amuse à dédoubler le point de vue du héros et du spectateur. Les deux ne peuvent se déplacer et influer sur le drame qui se jouent devant eux.
Le voyeur solitaire
Jeff, ne pouvant plus être photographe devient un voyeur. Ses jumelles, armes du crime trahissent sa mise à l'écart du monde et son envie de s'en rapprocher. Il est le paralysé espionnant honteusement l'immeuble d'en face. Un hommage aux "Screens" (XIXth) du metteur en scène Craig (plusieurs scènes à des hauteurs différentes et reliés par des escaliers ou échelles) rappelle la structure connecté de l'immeuble et la diversité de vies qui y est vécu. Le héros, éloigné de la bâtisse, doit satisfait son besoin vital d'un voyeurisme lui permettant de pallier à son inaction et sa solitude. Sa solitude, et son manque de contact réel avec le monde, si ce n'est via les jumelles, rappellent d'ailleurs le débat sur les portables coupant l'humain du monde réel. L'oeuvre de Hitchcock traverse les siècles et questionne une problématique contemporaine pourtant inconnue à l'époque par le réalisateur.
Le spectateur double
En paralysant James Stewart, le film s'amuse à superposer le point de vue du héros et du spectateur. Les deux ne peuvent se déplacer et influer sur le drame qui se jouent devant eux. Les jumelles, encore elles, symbolisent un objet emblématique du théâtre classique servant plus à regarder les agissements du voisin que la pièce se jouant devant l'audience. Tout comme un voyeur, le spectateur qu'est James, ne peut interagir avec le dehors, il est impuissant. Il se retrouve réduit à un rôle de spectateur, tout comme le public. Le héros ne peut changer le drame se produisant sous ses yeux, et doit attendre le déroulement d'une action maîtrisé par d'autres acteurs : son infirmière (Thelma Ritter) et sa fiancée (Grace Kelly) pour résoudre le mystère derrière le meurtre. L'effet de miroir participe d'autant plus à l'effroi qu'éprouve l'assistance pendant l'acte final en voyant James Stewart sombré dans une psychose qu'il ne peut contrôlé.
Le jugement viendra finalement frapper à la porte du photographe coupable d'espionnage. La peur n'est alors plus dans l'immeuble d'en face, ni derrière l'écran de cinéma, elle vient d'ouvrir la porte du héros et s'apprête à nous happer.