Deuxième film de la merveilleuse cuvée 1954 d’Alfred Hitchcock, « Fenêtre sur cour » est aujourd’hui l’une des œuvres les plus connues du maître. Le film, qui fut très largement apprécié et reconnu par les critiques et le public de l’époque, obtint un immense succès au box-office et quatre nominations aux Oscars. Avec le temps, son statut dans l’histoire du cinéma fut encore consolidé, le film accumulant des places de choix aux différents palmarès prestigieux de l’American Film Institute.


« Fenêtre sur cour » met en scène un photojournaliste reconnu, spécialiste des reportages dangereux en pays exotiques, alité dans son appartement avec une jambe dans le plâtre. Habitué à un style de vie trépidant, le pauvre homme souffre très légitimement d’un certain ennui, malgré les visites fréquentes de sa nurse acariâtre et de sa radieuse fiancée.


Pour tromper sa lassitude, le reporter se poste à sa fenêtre (dont il ne peut d’ailleurs guère s’éloigner, en raison de sa faible mobilité), dont la grande ouverture lui offre une vue avantageuse sur la cour intérieure de son immeuble et les logis de ses voisins. Autant par curiosité que pour tromper son ennui – et, fort d’un manque de gêne certain – notre homme observe la vie quotidienne des habitants du voisinage, et ce, de l’aurore au crépuscule. Ce passe-temps somme toute très banal et passablement innocent gagne nettement en intérêt lorsque le photographe se met à soupçonner le locataire d’en face d’avoir commis quelque acte abominable.


On pourrait être tenté de ranger « Fenêtre sur cour » dans plusieurs catégories : huis-clos, polar, voire même thriller psychologique… mais il s’agit surtout d’une franche comédie joyeusement cynique dans le plus pur style Hitchcock.


La plus belle réussite du film, d’ailleurs, ne réside pas dans le suspense que l’affaire suscite, ni dans les artifices employés par les personnages pour en précipiter la résolution. Non, la plus grande force du métrage, c’est sa contextualisation, son originalité et ses décors. L’idée de départ est extrêmement prometteuse : le réalisateur en appelle à l’un des vices les plus inavouables du spectateur en le faisant voyeur dès les premiers instants du film. Pour fonctionner, cette association dans le crime repose sur l’envie du public d’accepter ce rôle qu’on lui offre, exigeant ainsi du metteur en scène qu’il propose un spectacle dont l’on ne pourra plus lever les yeux. L’avantage, c’est que le maître remplit parfaitement sa part du contrat.


Pour le film, l’orfèvre a orchestré la reconstitution minutieuse d’un immense décor d’immeuble – tout en studio –, dont les moindres recoins fourmillent de détails aussi inutiles que passionnants, méritant presque plusieurs visionnages pour mieux en capter l’étendue. Hitchcock sait bien ce qui intéresse ses spectateurs, et leur prépare un divertissement sans cesse renouvelé : une accorte jeune fille en petite tenue pour le plaisir des yeux, une dispute conjugale violente – plus vraie que nature –, sans oublier les quelques originaux dont les excentricités reposantes prêtent à sourire entre deux programmes. Le cinéma a toujours été un art un peu voyeur, donnant un droit de regard à un œil extérieur et omniscient, le spectateur. Hitchcock pousse l’idée un peu plus loin : comme James Stewart, l’on est peut-être un peu honteux au début… et puis après, l’on s’en fiche un peu, et l’on attrape les binoculaires pour ne plus rien perdre de la suite.


Chez le maître, le suspense est dosé avec une précision micrométrique. L’enquête policière qui est développée au cours du film est saupoudrée d’indices, distillés au compte-goutte afin de toujours renouveler l’intérêt du public. Tout le travail de préparation en amont, qui consiste à installer confortablement le spectateur dans le fauteuil de James Stewart et d’en faire l’un des voyeurs réguliers de l’appartement, trouve alors un intérêt supplémentaire. Le film donne à réfléchir : que diable ferait-on, confronté à ce genre de situation ?


« Fenêtre sur cour » bénéficie aussi d’une des mises en scène les plus abouties d’Hitchcock. Tous les éléments qui composent le film s’accordent à merveille sans la moindre fausse note. Ainsi, les découvertes de nouvelles pièces à conviction surviennent exactement aux bons moments, créant un rythme parfait. Les décors sont d’une grande richesse et foisonnent de détails passionnants ; l’on jongle entre les saynètes et leurs personnages avec le plaisir de découvrir de nouvelles choses. Enfin, la structure même de l’immeuble est idéale pour le film, et le technicolor enveloppe le métrage de ces couleurs variées qui font ressortir la diversité des accessoires.


Et puis, il ne faut pas oublier qu’en 1954, Grace Kelly est la plus belle femme du monde. Solaire, absolument radieuse, elle illumine de sa présence chaque scène dans l’appartement de Stewart. Ce dernier est constant dans l’excellence, et l’omniprésente Thelma Ritter complète un trio de choc sans qui le film n’aurait pas eu la même saveur.


L’un des plus grands films d’Hitchcock, « Fenêtre sur cour » constitue le panachage parfait entre comédie satirique et thriller policier haletant, dans le plus pur style du maître du suspense. Porté par son trio d’acteurs et reposant sur une idée de base aussi originale que géniale, « Fenêtre sur cour » est un spectacle jubilatoire et inoubliable.

Aramis
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le 20 mars 2016

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