Il était une fois une histoire de fantôme qui aurait hanté le cinéma de Victor Erice, où son absence, une ellipse longue de trente années, sépare son dernier film (Le Songe de la lumière (1992)) de Fermer les yeux. Le voilà revenu d’on ne sait où, avec une proposition deux fois plus généreuse : un film dans le film. Ce premier film, qu’on pourrait quasiment dater au moment de l’arrêt de son cinéma, s’ouvre sur une scène en France, dans un château avec un personnage, Triste-le-roi qui missionne un enquêteur pour revoir sa fille. Ce premier film, à peine rentré dedans, on nous l’enlève de la vue tandis qu’on commençait à peine à en apprécier toutes les saveurs. Ce passage du premier film au second, c’est la pellicule que l’on déchire inopinément, c'est l'acteur qui se soustrait à la fiction, le cinéma que l’on ampute de sa magie, le grain de son image. Pendant trois heures, c’est le manque de ce film initial que nous ressentons, la bouche ouverte à la douceur de la mélancolie, durant lesquelles les souvenirs sont convoqués et où, nous spectateurs et eux personnages, recollons les morceaux du passé. Fermer les yeux est un film collectif qui donne toute sa confiance au romanesque d’une disparition qui tient le spectateur en haleine, une odyssée longue et magnifique.
Si nous sommes heureux de la réapparition de Victor Erice, ce n’est rien comparé à celle de la magie du cinéma que nous touchons du bout des yeux, dans une dernière scène déchirante et pourtant réconciliatrice. Le miracle de Dreyer devient celui du cinéma, du moins celui d’Erice, le temps de trois heures à fermer les yeux pour mieux les ouvrir sur le monde.