On ne peut pas dire que Victor Erice nous ait ensevelis sous un nombre démesuré de longs-métrages au cours de sa carrière. En effet, il en a réalisé quatre sur une durée d'un demi-siècle, dont le troisième plus de trente ans avant Fermer les yeux.
S'il est fait exception du film dans le film qui introduit et conclut l'ensemble, avec de la bonne vieille péloche (ce qui est cohérent étant donné qu'il est censé avoir été tourné au début des années 1990 !), le tout est filmé par l'intermédiaire du numérique. Ce qui a pour conséquence que ce format visuel d'aujourd'hui s'est implanté aussi chez un cinéaste qui mettait un point d'honneur à créer des expériences esthétiques (et sensorielles !), que l'on a le droit à une réalisation sur le plan technique qui peut apparaître lisse, sans aspérités, sans contrastes.
METTAIT un point d'honneur ? Déjà, je pense que le numérique et ses défauts sont voulus par Erice. Un tâcheron sans âme se serait contenter bêtement et platement de filmer le film dans le film en numérique, sans marquer ainsi de différence temporelle pour le regard. Oui, la comparaison est souhaitée pour marquer les époques. Et pourquoi le personnage de l'archiviste (sur lequel je vais revenir plus loin !) si ce n'était pas le cas ? Et la réalisation téléfilmesque des séquences autour d'une émission de télévision racoleuse, n'est-ce pas pour souligner combien tout cela est téléfilmesque ? En outre, le numérique n'empêche nullement de prouver que le vieil metteur en scène en a encore à revendre. Il suffit de voir les quelques plans d'une beauté simple, mais mémorable, autour d'une disparition telle que la conçoit l'esprit du personnage principal.
A propos de ce dernier justement, difficile de ne pas voir en ce cinéaste n'ayant pas tourné depuis des décennies et à l'écart de toute activité artistique, une autoréférence. Et ce n'est pas le fait qu'Ana Torrent, la gamine de L'Esprit de la ruche (le tout premier film du Monsieur !), soit dans la distribution qui va pour contredire qu'Erice construit un flashback à propos de lui-même. Il parle de lui, il parle de cinéma du passé par l'intermédiaire de références aux frères Lumière, à Rio Bravo, de photographies de tournage en noir et blanc, il parle d'aujourd'hui où tout parait lisse, trop formaté. Faut-il maintenant désespérer ? Est-ce que, comme le lance désespérément l'archiviste, vivant seul, dans l'ombre, parmi des bobines de films abandonnés, les miracles au cinéma n'existent plus depuis que Dreyer est mort ?
Un dernier acte vient contredire cette affirmation péremptoire lors duquel Erice crie sa foi dans la puissance du cinéma. Et tout simplement, il y a aussi ce film poignant, profond et captivant qui s'intitule Fermer les yeux.