Fermer les yeux
7.1
Fermer les yeux

Film de Victor Erice (2023)

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Une œuvre envoûtante sur la mémoire, la perte et le pouvoir du cinéma

(8.5/10)

"Fermer les yeux", réalisé par Victor Erice, marque le retour tant attendu de l'un des maîtres du cinéma espagnol, après plusieurs décennies d'absence. Ce film poétique et introspectif plonge le spectateur dans un voyage mélancolique au cœur de la mémoire et de l’oubli, tout en rendant hommage à la magie du cinéma. En combinant une mise en scène élégante, des performances d'acteurs remarquables et une réflexion profonde sur l'art, la perte et l'identité, Erice parvient à capturer l’essence même de ce qui fait du cinéma un art si puissant. "Fermer les yeux" est une œuvre bouleversante qui séduit par sa beauté formelle et sa profondeur émotionnelle.


"Fermer les yeux" nous raconte l’histoire de Miguel Garay (Manolo Solo), un réalisateur vieillissant qui tente de retrouver son ancien ami et acteur, Julio Arenas (José Coronado), mystérieusement disparu en plein tournage il y a de nombreuses années. Ce point de départ, à la fois intrigant et émouvant, sert de prétexte à une exploration intime de la mémoire et de la manière dont le cinéma capture et préserve des fragments de vie. Miguel, hanté par la disparition de Julio, se lance dans une enquête personnelle qui le confronte à son passé, à ses regrets et aux souvenirs enfouis.


Le film prend son temps pour développer ses thèmes, naviguant entre présent et passé avec une fluidité qui reflète la manière dont les souvenirs surgissent, souvent sans prévenir. Victor Erice utilise cette structure narrative pour créer une atmosphère de nostalgie et de mystère, où chaque scène semble imprégnée d’une douce mélancolie. Loin d’être un simple film d’enquête, "Fermer les yeux" est avant tout une méditation sur le temps qui passe, sur les relations humaines et sur l’impact durable des absences.


La quête de Miguel est autant une recherche de vérité qu’un voyage introspectif. En cherchant Julio, il cherche aussi à se reconnecter avec une partie de lui-même, à comprendre ce qu’il a perdu en cours de route. Cette double quête, à la fois extérieure et intérieure, confère au film une dimension universelle, car elle touche à des thèmes qui résonnent profondément en chacun de nous : la perte, le deuil, et le besoin de comprendre pour avancer.


Le film doit beaucoup de sa réussite à ses personnages riches et profondément humains, magnifiquement interprétés par un casting talentueux. Manolo Solo incarne Miguel avec une subtilité remarquable, capturant parfaitement la mélancolie et la détermination de cet homme vieillissant qui tente de recoller les morceaux de son passé. Son jeu tout en nuances donne au personnage une grande humanité, rendant sa quête émotive et crédible.


José Coronado, dans le rôle de Julio, bien que souvent présent à l’écran à travers des flashbacks ou des souvenirs, laisse une empreinte indélébile. Sa disparition mystérieuse hante le film comme un spectre, et à travers les bribes de son passé, le spectateur découvre un homme complexe, tiraillé entre ses aspirations artistiques et ses démons personnels. Coronado parvient à rendre son personnage à la fois charismatique et insaisissable, ajoutant une couche de mystère et de tristesse à l’histoire.


Les personnages secondaires, comme ceux qui gravitent autour de Miguel et Julio, sont également traités avec soin et profondeur. Chacun apporte une perspective différente sur la disparition de Julio, mais aussi sur le passé de Miguel, contribuant à enrichir la toile narrative du film. Leurs interactions, souvent empreintes de non-dits et de nostalgie, révèlent les tensions et les douleurs cachées derrière les souvenirs partagés.


Victor Erice, fidèle à son style, privilégie une mise en scène poétique, où chaque plan est soigneusement composé pour capturer l’essence des émotions des personnages. L’utilisation de la lumière, des ombres et des couleurs est particulièrement marquante, créant une atmosphère à la fois douce et mélancolique qui enveloppe le spectateur. Les décors, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, sont filmés avec une grande sensibilité, renforçant l’impression d’assister à une sorte de rêve éveillé, où le temps semble suspendu.


Les choix de cadrage et de montage contribuent à cette immersion. Erice n’hésite pas à laisser la caméra s’attarder sur un visage, un geste, ou un paysage, capturant les micro-émotions et les instants fugaces qui composent la vie. Cette approche contemplative permet au spectateur de s’immerger pleinement dans l’univers du film, de ressentir le poids des silences et des regards, et de se laisser porter par le flot des souvenirs qui défilent à l’écran.


La bande sonore, discrète mais poignante, accompagne parfaitement l’action. Les silences, ponctués par des bruits du quotidien ou des mélodies délicates, renforcent l’ambiance méditative du film. Erice utilise le son de manière subtile pour souligner les moments de tension ou de nostalgie, sans jamais en faire trop. Cette maîtrise de l’ambiance sonore contribue à l’atmosphère introspective et envoûtante de l’œuvre.


"Fermer les yeux" est aussi une déclaration d’amour au cinéma, vu ici comme un art capable de capturer des instants de vie et de préserver la mémoire collective. Erice interroge le pouvoir du cinéma à travers les archives de tournages inachevés, les extraits de films et les souvenirs visuels qui hantent Miguel. Le cinéma devient un moyen de ressusciter le passé, de revivre des moments perdus et de redonner une forme de présence à ceux qui ont disparu.


Cette dimension méta-cinématographique est au cœur du film. En cherchant Julio, Miguel revisite non seulement ses souvenirs personnels, mais aussi ceux figés sur pellicule. Les images de films, les photographies et les vidéos d’archives deviennent autant de fragments d’une vie qu’il tente de reconstituer, comme un puzzle dont il manquerait toujours une pièce essentielle. Cette quête pour retrouver Julio est aussi une quête pour retrouver un cinéma d’antan, une époque où les images semblaient pouvoir capturer l’essence même de l’existence.


Erice explore cette idée avec une grande sensibilité, sans jamais tomber dans la nostalgie facile. Au contraire, il montre que le cinéma, tout en étant un art de la mémoire, est aussi un art de l’illusion, où le réel et l’imaginaire se confondent. Les images de Julio, toujours parfaites et figées dans le temps, contrastent avec la réalité de l’absence et de l’oubli, soulignant la tension entre ce que nous voyons et ce que nous ressentons.


Au-delà de son exploration du cinéma, "Fermer les yeux" est une profonde méditation sur le temps et l’oubli. Le film interroge notre rapport au passé, notre tendance à embellir les souvenirs et notre difficulté à affronter les pertes irréparables. Miguel, en cherchant Julio, cherche aussi à se réconcilier avec lui-même, à faire la paix avec les choix et les absences qui ont marqué sa vie.


Le film nous rappelle que la mémoire est une matière malléable, souvent influencée par nos désirs, nos peurs et nos regrets. Erice ne propose pas de réponses définitives sur ce qu’est le souvenir ou sur ce que signifie se souvenir de quelqu’un, mais il invite le spectateur à accepter l’incertitude et la beauté de ces fragments de vie qui flottent en nous. C’est cette dimension introspective et philosophique qui donne à "Fermer les yeux" toute sa puissance émotionnelle.


"Fermer les yeux" est une œuvre d’une rare beauté, où Victor Erice confirme son talent pour capturer la complexité des émotions humaines à travers le prisme du cinéma. Ce film est une plongée poétique et bouleversante dans les méandres de la mémoire, où chaque image, chaque silence et chaque regard raconte une histoire. Erice livre ici un hommage au pouvoir des souvenirs et du cinéma, tout en explorant les thèmes universels de la perte, de l’identité et de la quête de soi.


"Fermer les yeux" est un film qui demande au spectateur de prendre son temps, d’ouvrir son cœur et de se laisser porter par une narration contemplative et profonde. C’est une invitation à se souvenir, à rêver et à accepter que certaines absences resteront toujours des mystères. En capturant l’essence évanescente du passé, Erice signe une œuvre magistrale, pleine de tendresse et de réflexion, qui résonne longtemps après la fin du générique.

CinephageAiguise
9

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il y a 3 jours

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