Un employé de bureau insomniaque se soulage du stress en suivant des réunions de malades en phase terminale ou de rescapés d'un cancer des testicules. Jusqu'à ce qu'il rencontre Tyler Durden, un fabricant et vendeur de savon dont la philosophie de la vie rejette toute forme de consommation : tous deux deviendront vite inséparables, avant de fonder un club de combat clandestin qui accueillera toujours plus de membres – un fight club que Tyler Durden guidera peu à peu vers des desseins... obscurs.
Mais au fait, qui est Tyler Durden ?
Protéiforme, Fight Club aborde de front plusieurs thèmes : critique du consumérisme, de la manipulation, de la virilité perdue dans le modernisme ; ode à la liberté et au droit de choisir par soi-même, à la nécessité de se consacrer à la juste cause, mais aussi à l'autodestruction et à l'abandon d'espoir ; dénonciation du culte de l'apparence et de la futilité des questionnements postmodernes de notre temps... Bref, à travers autant d'idées jetées en tous sens par une réalisation dignes des vidéoclips les plus déjantés du moment, David Fincher finit en quelque sorte par dire tout et son contraire – il aurait, paraît-il, qualifié son film de blague.
De sorte que ce qui exsude de Fight Club au final rappelle une forme de folie rampante et par essence pernicieuse – elle frappe toujours au moment où on l'attend le moins... la personne qu'on croit la moins exposée. Dans ce sens, Fight Club illustre à merveille la mutation de la notion de civilisation qu'induit la société de consommation, celle-ci ayant atteint un sommet que personne ne soupçonnait après la chute du Rideau de Fer ; or, cette mutation se traduit surtout par une accélération constante des progrès au sein du « Système technicien », et ceux-ci présentent comme corollaire une perte progressive des repères qui, elle, implique une forme d'abolition de la raison (1).
Voilà comment se téléscopent tous ces thèmes, ces idées en apparence contradictoire mais qui trouvent pourtant toutes leurs racines dans un quotidien devenu inhumain et où la folie s'affirme de plus en plus comme la seule voie de sortie. Au moins de façon temporaire. Et si la raison revient parfois, elle finit toujours par céder la place à nouveau : l'appel de la liberté est très fort, c'est bien connu, et l'esprit humain peut montrer une imagination à toute épreuve pour y céder – ce n'est pas le docteur Freud qui me contredira sur ce point d'ailleurs (2).
Et voilà comment Fight Club atteint cette universalité dans son propos : non à travers la pluralité des thèmes abordés – car leur nombre restera toujours en quantité inférieure par rapport à ceux que propose la réalité – mais par la folie au moins sous-jacente que cette pluralité implique et qui constitue un reflet du présent, par le feu d'artifice d'idées qu'elle apporte et dans lesquelles chacun peut trouver sa vérité – celle qui l'isole des autres.
Or c'est bien cette solitude qui pousse le narrateur dans cette automutilation mentale où le récit trouve son point de départ, celle-là même qui le jettera dans les griffes de Tyler Durden – lui aussi victime de sa propre folie.
Reste encore à savoir qui est Tyler Durden...
(1) le développement technique est incontrôlable par essence : parce qu'on le subit, il exerce une pression constante sur l'esprit qui se trouve ainsi plus exposé au stress et à l'anxiété, et donc in fine aux pathologies mentales.
(2) je rappelle brièvement que Freud considérait les névroses comme trouvant leurs racines dans les exigences sociales : si celles-ci se durcissent, notamment à travers le progrès technique, que deviennent les névroses ?
Récompenses :
Empire Award de la meilleure actrice britannique pour Helena Boham Carter en 2000.
Notes :
Fight Club est une adaptation du roman éponyme de Chuck Palahniuk publié en 1996. Le propos y est plus spécifique et la narration plus décousue que dans le film.
Une adaptation en jeu vidéo de combat, sous le même titre, vit le jour en 2004 pour Xbox et Playstation 2.
En dépit d'un score pour le moins mitigé au box office, Fight Club connut un immense succès en DVD, au point qu'il est maintenant considéré comme un film culte.