Donner une seconde chance. C’est ce que je m’étais promis de faire après avoir visionné pour la première fois Fight Club, film culte de ma génération, hautement louangé et qui, pourtant, ne m’avais pas bouleversé. J’avais la sensation de l’avoir vu trop tard dans ma vie, que c’était un film-défouloir pour adolescents contestataires qui voulaient dire au monde d’aller se faire voir. Je trouvais ce film sur-côté et pas spécialement révolutionnaire, malgré la présence de David Fincher, un réalisateur que j’estime énormément, derrière la caméra. Mais voilà, il fallait contrer le mauvais sort, se plonger à nouveau dedans pour en avoir définitivement le cœur net. Résultat ? J’ai largement changé mon opinion à propos de Fight Club. Afin de pouvoir analyser correctement et explicitement le film, il me faudra cependant spoiler sans vergogne. Par ailleurs, je ne connais pas l’oeuvre littéraire de Chuck Palahniuk, il s’agira donc d’une pure analyse du film. Vous voilà prévenus.


Etat des lieux de la société moderne


Il faut préciser, tout d’abord, que notre rapport au film se construit notamment à partir du contexte dans lequel nous nous situons. Lors de mon premier visionnage, j’étais en vacances tranquillement chez mes parents en Bretagne. Désormais, je travaille sur Paris et suis quotidiennement confronté à l’urbanisation, aux messages publicitaires et à la foule, des éléments omniprésents et pointés du doigt dans Fight Club. Naturellement, je suis donc plus sensible aux problématiques soulevées par le film et à la situation vécue par le personnage principal. De plus, connaissant déjà le dénouement principal, basé sur le dédoublement de la personnalité et par le fait que le narrateur de Tyler Durden soient une seule et même personne, mon regard sur le film était également différent que lors de mon premier visionnage.


Evidemment, Fight Club est une critique ouverte et acerbe d’un monde où l’humain n’est qu’un produit, subissant sa situation, et ne trouvant une sorte de salut que dans son pouvoir de consommer : « La pub nous fait courir après des voitures et des fringues, on fait des boulots qu’on déteste pour se payer des merdes qui nous servent à rien ! » . La contestation est au cœur d’un film qui pointe du doigt une société en proie à un esclavage moderne basé sur la quête d’argent et le besoin de consommer. John Carpenter donnait des lunettes à Roddy Piper dans Invasion Los Angeles pour lui faire voir la vérité des messages publicitaires. David Fincher envoie Edward Norton au Fight Club et personnifie une partie de sa conscience pour le faire réfléchir. Nos réflexions et notre discernement sont notre meilleur moyen de lutter contre l’enlisement, mais ont aussi pour risque de nous plonger dans les tourments. L’idée est d’offrir un regard alternatif sur le monde et, surtout, de symboliser nos conflits intérieurs.


Le mal est inhérent à l’humanité, sans mal il n’y a pas de bien


Pour avoir commencé à explorer la filmographie de « PTA » depuis peu, j’ai retrouvé dans le discours du film de David Fincher quelque chose de très proche de ce que l’on peut retrouver dans la filmographie de Paul Thomas Anderson (entre autres). En effet, l’idée de Fight Club est de mettre la société à terre, de frapper et de prendre des coups de pour se sentir humain. Le narrateur se rend à des réunions de clubs pour des personnes en détresse pour partager des moments avec elles, afin d’à la fois constater que des personnes ont une existence plus misérable que lui, mais également pour échanger des sentiments sincères et pouvoir exprimer lui-même sa détresse.


L’idée est de montrer le fait que le narrateur, d’un point de vue, semble se nourrir de ce malheur dans une démarche malsaine, mais d’un autre point de vue, de mettre en avant le fait que l’humanité s’exprime beaucoup dans la détresse, chose que l’on constate également régulièrement dans la filmographie de Paul Thomas Anderson, notamment dans son dernier Phantom Thread.


Entre soumission face au système et un retour à l’état sauvage, la recherche permanente d’un équilibre


L’intervention de Tyler Durden, facette révoltée et affranchie du narrateur, propose au spectateur un retour radical aux sources, un renoncement total aux bien matériels, et une marginalisation de la société pour étudier et explorer la nature humaine lorsqu’elle est libérée des entraves de la société et de la routine. Elle agit comme une libération et un défouloir pour le spectateur, qui voit en Tyler un personnage charismatique, un guide déterminé qui invite à balayer le quotidien et ce qui nous lie au système pour retrouver ce qui constitue notre condition humaine.


Toutefois, le but de Fight Club n’est pas de militer aveuglément pour ce renoncement et cet affranchissement total des carcans de la société. En effet, à la révélation du narrateur succède une descente aux enfers inéluctable où le Fight Club devient le Projet Chaos. Le groupe qui visait à réunir les gens et à s’exprimer librement, à libérer la violence qu’ils contiennent au quotidien, devient une armée qui sème le désordre, quitte à mettre en danger des innocents. Cette évolution vise à montrer une perte de contrôle manifeste, qui invite à nuancer le propos et à éviter un discours manichéen qui pourrait s’avérer dangereux. Le film cherche, en définitive, plutôt à cautionner le relâchement et le renoncement, mais mettre en garde vis-à-vis du risque de tout détruire dans un anarchisme aveugle.


Une symbolique permanente au service de la construction d’un tableau d’une société malade


Là où Fight Club brille particulièrement et s’avère très complexe, c’est dans son utilisation d’éléments symboliques pour représenter ou personnifier des éléments de la société ou de la nature humaine. Par exemple, le symbole principal est Tyler Durden, personnification du « ça » (terme de psychanalyse utilisé par Freud pour définir la zone de notre conscience abritant nos pulsions et représentant nos besoins instinctifs) du narrateur, imprévisible, sûr de lui et fonctionnant à l’instinct. Le Fight Club, lui, représente une face cachée de la société, où chacun peut exprimer la manifestation de son « ça », une violence latente que chacun porte en lui mais qui ne peut être dévoilée librement, d’où le choix d’une cave comme quartier général du Fight Club.


De même, Tyler Durden fabrique du savon à partir de graisse humaine, un paradoxe montrant l’image d’une société cherchant à être propre, mais qui se lave à partir de saleté et de rebuts produits par notre oisiveté et nos excès. Fight Club suit un double récit, l’un étant très frontal, racontant simplement une histoire de renonciation au système et de remise en question, le second récit étant beaucoup plus métaphorique, chaque élément du récit frontal recelant un sens caché qui offre au film de multiples pistes d’interprétation qui nécessitent plus de deux visionnages pour les étudier correctement, je l’accorde. Chaque image, chaque scène que nos yeux voient et explorent, montre des éléments visibles et palpables, comme des personnages ou des objets, mais chacun peut être considéré comme un concept ou une idée matérialisée d’une certaine manière. Ainsi, Fight Club se présente comme un récit aussi complexe que plein de potentiel en termes de réflexions sur la société, dévoilant de nouvelles thématiques et pensées à chaque visionnage.


Conclusion : Un récit social et philosophique fort, juste et savamment construit


Un visionnage n’était clairement pas suffisant pour apprécier Fight Club à sa juste valeur et comprendre ses enjeux et sa démarche. Un deuxième visionnage m’a permis de le reconsidérer en tant qu’objet cinématographique capable, par sa construction, de nourrir des propos pertinents et intelligents, en se transformant en une oeuvre philosophique forte, d’actualité, et pouvant parler à un large public. Comme d’autres films cultes, il se peut que la popularité de Fight Club se soit construite sur des appréciations erronées, ou pour des raisons ne faisant pas forcément honneur à la puissance de l’oeuvre, d’où mon impression première d’y voir un film parlant surtout à des adolescents en période de rébellion cherchant à contester le monde qui les entoure. En réalité, ce film parle à tout le monde, et même principalement aux jeunes adultes qui se lancent dans la vie.


Grâce à sa réalisation nerveuse, David Fincher parvient à restituer l’urgence dans laquelle évolue notre société. Sa structure en double récit, l’un frontal et l’autre plus métaphorique, apporte énormément de profondeur au film et met en place de nombreuses couches d’interprétation au récit et à ses éléments pour permettre au spectateur d’en extraire les messages qui lui paraissent les plus pertinents et auxquels il est le plus sensible. C’est un film qui parle à tout le monde, qui, par l’étendue de son propos, permet à chacun de se l’approprier, et qui, par sa qualité cinématographique, ne porte jamais préjudice à sa démarche. Il fait partie de ces films à voir plusieurs fois, déjà pour l’estimer à sa juste valeur, et pour en dégager toujours de nouveaux éléments de compréhension. A bientôt, Fight Club !

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le 18 mars 2018

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