Se frotter à son film préféré pour en rédiger une analyse sur Sens Critique, c'est toujours difficile et piégeux.
Car on a peur. De se montrer trop illustratif, admiratif ou béat. De passer à côté de l'essentiel ou, au contraire, d'en faire trop, de divaguer et ennuyer.
Et surtout, j'ai peur que le charme se dissipe. Que disséquer, ce serait entamer une grosse partie du charme et du mystère de l'amour que je porte. D'éventer l'élément magique qui fait que je ne m'en lasse jamais, que je trouve toujours quelque chose que je n'avais pas remarqué jusqu'ici. Que mon attachement se fane.
Le plaisir de revoir le film au cinéma plus de vingt ans après sa sortie est aussi excitant qu'inquiétant. Le choc survivra-t-il ? Réagira-t-on aux mêmes choses ? Notre regard changera-t-il sur l'oeuvre ?
Mais une fois le noir fait, mes questions et mes craintes s'envolent. Car dès le logo de la 20th Century Fox, je suis happé. Dès les premières secondes du générique, je renoue avec le charme et le choc de l'étrangeté. Les notes synthétiques et frénétiques.
Je suis les pieds de Jack qui battent la mesure.
Le voyage en forme de dissection inversée, qui va des synapses aux méandres dessinées d'un cerveau.
Fincher jouait donc franc jeu dès son premier plan : Fight Club est un véritable voyage intérieur dans la psyché de son héros.
Mais quel héros ?
Est-ce Jack, ce gratte-papier anodin insomniaque et incertain, esclave de la société de consommation ?
Car il y a aussi Tyler : antithèse ultra charismatique, cool et sexualisée. Une véritable icône de la mode aux allures de gourou anti capitaliste et consumériste. Qui dénonce sa propre image. Nous ne sommes déjà plus à un paradoxe près.
Fight Club commence ainsi comme une blague, tant son humour vachard et iconoclaste éclabousse l'écran. Tant Tyler et Jack brisent le quatrième mur, se délectent de la mise en abîme et du terrorisme tant culinaire que cinéphile du gourou affreux jojo.
Mais une blague qui échappe peu à peu à tout contrôle. Tandis que Tyler se transforme en surhomme, Jack subit les événements. Si le fight club fondé avec son comparse est une manière de se rappeler qu'il existe, il dérape aussi inexorablement.
Sauf que l'on a un peu de mal à prendre tout cela au sérieux, au final. Un peu comme les critiques d'un film qui, à l'époque, l'ont presque toutes conspué. En relevant au choix une volonté factice de choquer le bourgeois ou un aspect fascisant et esthétisant une violence sordide.
Il y a peut être un peu de tout cela dans Fight Club. Sauf que le discours politique, retenu d'un côté ou de l'autre du spectre, semble plutôt céder la place à un véritable cri de douleur. A la souffrance de toute la génération X. La première à avoir été élevée en l'absence de la figure du père et influencée par nombre de repères dérisoires et dévoyés, de fausses idoles et modèles véhiculés et glorifiés par la société. Jusqu'à l'émasculation et l'asphyxie.
Je suis les poumons comprimés de Jack.
Je suis les veines de son cou qui se gonflent et éclatent.
La réponse aux diktats de ces carcans ne pouvait être que violente. Celle de Tyler, tour à tour image subliminale, ami étrange et foutraque, doppelganger, légende urbaine à la Keyser Söze ou génie du mal, relève d'un véritable gloubi boulga d'influences mal digérées mêlant extrême gauche, anarchisme, anti-capitalisme, méthodes néo fascistes ou para-militaires et dérives sectaires faisant froid dans le dos.
Comme le jusqu'au boutisme de l'entreprise que Fincher montre du doigt, non pas d'un point de vue politique, mais tout simplement pour en pointer toute l'absurdité. Sa projection a beau être attirante, charismatique et emprunter à Brad Pitt sa beauté et sa masculinité paroxystique, Fight Club est avant tout la chronique de la descente aux enfers d'une génération privée de boussole. Et un film animé par le vertige insondable du dédoublement qui réussit à rendre physique, palpable, à l'image, l'intimité de la folie.
Et en glissant une dernière image subliminale provocatrice entre ces deux tours qui s'effondrent, l'impasse extrémiste apparaîtra dérisoire sous la caméra de Fincher. Comme si Tyler Durden adressait un dernier pied de nez à son public.
La lumière revenue, je suis à nouveau sous le choc. Suffoqué. Comme si c'était la première fois. Comme si j'étais revenu en novembre 1999. Quand Fight Club devenait mon flm préféré et me donnait, pour toujours, envie de cinéma.
Je suis le putain de sourire inscrit sur la gueule de Jack.
Behind_the_Mask, ♫ Prouve que tu existes ♪.