Pour ceux qui ne connaissent pas Damien Chazelle, le mieux pour le caractériser serait simplement de dire qu’il est actuellement l’étoile montante d’Hollywood. Après Whiplash en 2014, premier long métrage du dit réalisateur et déjà à l’époque en course pour les Oscars (il en obtient 3), puis La La Land en 2016 lui donnant déjà accès à 2 grandes stars que sont Ryan Gosling et Emma Stone ainsi qu’à son premier Oscar de meilleur réalisateur, notre metteur en scène franco-américain favori revient avec First Man, un biopic sur Neil Armstrong et son ascension au sein du projet Gemini concernant la conquête de l’espace dans les années 60 de 1961 jusqu’en 1969 avec le premier pas de l’Homme sur l’astre. On pouvait tout de même se poser la question sur le point de vue qu’adopterait Chazelle sur l’adaptation de cette histoire après être passé sur 2 films dont le sujet principal était la musique. Et Damien va nous montrer sa maîtrise du sujet.
Pour éviter d’aborder directement le côté technique donc redondant (parce que si on connaît Chazelle, on sait déjà que toute cette partie est aux petits oignons pour le spectateur), je vais aborder 2 sujets qui me tiennent à cœur, dont un mettant en valeur ses 2 précédents films.
Le premier concerne l’histoire du film et la quête du personnage qu’incarne Ryan Gosling. Avant de raconter la quête spatiale des Etats-Unis face à l’URSS durant la guerre froide, c’est surtout l’histoire d’un père ayant perdu sa fille et qui recherche à faire son deuil. Et ceci va se dérouler selon un disposé : la perte de l’image. Je vais essayer d’expliquer cette interprétation.
Au début du film, dans son avion-fusée X-15, quand Ryan Gosling rebondit sur l’atmosphère, il remarque le noir absolu qu’est l’espace. Face à cette vision, cette absence d’image à travers cette fenêtre, il panique et commence la manipulation pour pénétrer de nouveau sur Terre. Dans la scène suivante où il passe du temps avec sa fille, on remarque sa volonté de lui faire partager son amour de l’image notamment à travers un livre pour enfant. De lui montrer des images et de pouvoir reconnaître ce qu’est une image.
Après la mort de sa fille, on peut ressentir une sorte d’obsession venant de Ryan Gosling. Dans les multiples vols qu’ils effectuent par la suite, nous avons de plus en plus ce champ/contre-champ entre lui et ce qu’il voit à travers la fenêtre. Et ce qu’il voit souvent, c’est le vide absolu dont il ne semble plus être effrayé. A travers le film, Ryan Gosling recherche à faire son deuil en faisant disparaître l’image de sa fille (qui revient à quelques reprises soit à travers des hallucinations, soit avec des objets précis telle une balançoire). La séquence sur la Lune en est la plus représentative, avec l’image de la surface lunaire et au-dessus le noir absolu, l’absence d’image face à l’image même. Et c’est dans le noir absolu d’un cratère que Ryan Gosling fait disparaître le bracelet de sa fille, il fait disparaître « symboliquement » l’image de sa fille dans l’objet de sa quête qu’est la Lune. Cette vision est d’autant plus marquée par son retour sur Terre où Ryan ne semble que faire de toutes les acclamations à travers les journaux, les dessins, la télévision, etc. On comprend son réel but.
Le 2ème sujet que je souhaite aborder est celui du personnage « chazellien » et de son évolution. Pour mieux comprendre ce que je définis par personnage chazellien, Whiplash en est la base. C’est un personnage prêt à tout, à tous les sacrifices possibles, même celui de sa propre chair, afin de parvenir à ses fins et surtout dans sa passion. Son 1er métrage représente totalement ce personnage, délaissant sa famille et sa petite amie pour se plonger entièrement dans la batterie, passant des heures à s’entraîner, ses mains en sang suite à l'entraînement. Et avec tous ses sacrifices, il parvient à ses fins. En fonction du point de vue personnel, on peut trouver ce genre de moral totalement inepte et inhumaine ou parfaite vis-à-vis de notre vision et nos buts. Dans La La Land, le personnage chazellien évolue pour devenir plus humain. Si on a perdu l’absence du sacrifice de se propre chair, il reste encore le sacrifice de la perte de l’autre pour parvenir à ses fins. Cependant, toute la séquence finale tient à nous prouver que c’est un regret et de fantasmer entre guillemets sur l’Histoire que Ryan Gosling et Emma Stone auraient pu écrire ensemble. A noter également que le personnage chazellien n’est donc pas forcément un homme mais peut être une femme également.
Enfin nous voilà avec First Man, et c’est là que le dialogue évolue le plus selon moi. C’est un personnage qui va devoir s’obliger à devenir un personnage chazellien afin de faire le deuil de sa fille. Après la mort de celle-ci, Ryan Gosling se plonge entièrement dans son métier, sa « passion », quitte à délaisser sa famille, c’est-à-dire sa femme et ses 2 fils (prouvé par le nombre ridicule de scènes montrant des interactions avec ceux-ci, nous montrant même sa femme déjà enceinte de 7 mois sans qu’on nous prépare à cette nouvelle). Il y a de nouveau cette notion de sacrifice de sa propre chair (face aux différents tests des prototypes pour l’amerrissage) et du sacrifice des autres. C’est après l’abandon du bracelet et son retour sur Terre que Ryan Gosling enlève son costume de personnage chazellien et qu’il semble vouloir repartir vers la volonté d’être le père et le mari.
Le personnage chazellien, au lieu d’être maintenant une incarnation totale d’un film, n’est plus qu’une sorte de vêtements que les protagonistes mettent pour s’accomplir avant de redevenir ce qu’ils étaient auparavant.
Abordons maintenant le côté technique : au niveau de la mise en scène, on peut sentir la documentation qu’a dû lire et voir Chazelle sur la sensation ressenti par les astronautes durant les lancés et à l’intérieur de la cabine. Comme si on assistait à une retranscription pure de l’intérieur d’une cabine, avec la patte du metteur en scène sur le montage et le découpage, les instruments de bord étant filmés et cutés comme les partitions et les instruments de Whiplash. La photographie du film est magnifique, surtout combiné avec l’utilisation du 35mm et du 16mm. Certains cadres et lumière sont parfaitement travaillés et soignés, de quoi faire plonger la rétine dans du pur bonheur. Seul petit bémol sur des mini passages à vide mais qui cependant n’influencent de très peu la qualité du film.
Pour conclure, First Man est un des incontournables de 2018 de par sa maîtrise, son sujet et sa direction. Je pense également, même si certains n’en ont que faire, qu’il sera sûrement le film des Oscars 2019, la concurrence étant actuellement quasi inexistante de ce que je vois actuellement. Avec The House That Jack Built, c’était une excellente journée de sorties pour les salles françaises.
En attendant le prochain film de Damien Chazelle, je vous souhaite un bon décollage !