J'étais partagée avant d'entrer dans la salle de cinéma parce que si j'adore tout ce qui a trait à l'espace, j'ai une confiance très limitée en Damien Chazelle. Je ne sais pas si ça veut dire que j'étais bien renseignée ou que j'ai du mal à surmonter mes préjugés, mais c'est l'impression que j'ai gardée à la sortie.
Techniquement c'est super bien filmé, on sent que Chazelle veut qu'on comprenne à quel point c'était dangereux et à quel point le module spatial tient en un seul morceau grâce à des bouts de ficelle, du chewing gum, de la confiance en soi et rien d'autre. C'est clair que ce qu'il veut montrer c'est la fragilité des missions Gemini et Apollo, quand rien d'autre qu'une fine couche de métal séparait les astronautes de l'espace. Ils sont filmés avec des plans très serrés, secoués par la force des moteurs de leurs fusées, le plus souvent on ne voit des étoiles et de la Terre que le reflet dans le casque d'Armstrong et c'est très efficace. Bref, l'espace c'est claustrophobe, ça secoue, c'est parfois mortel et pour le spectateur le suspense persiste même si on sait comment l'histoire se finit.
Toujours du côté réussite technique, la musique est très belle, c'est un peu moins sonore et triomphant que d'autres films sur l'espace, ce qui va bien au film.
Avec tout ça c'est triste que le film ne m'ait pas conquise, parce que je suis un public facile et la moindre mention de l'espace va m'attirer comme un papillon de nuit vers une lampe. La période de la conquête spatiale est tellement intense, c'est un matériau parfait pour un film : des efforts scientifiques incroyables, dans un délai très limité, à qui on demande de dépasser les limites humaines tout en étant observés de près par le monde entier.
Le film n'est pas particulièrement patriote même s'il a du mal à décider de son attitude par rapport à la politique spatiale américaine. Par moments, on est tendus vers l'effort de construction et d'ingénierie que ça demande (un homme en costume écrit "MOON" à la craie sur un tableau, c'est assez ridicule après coup), mais Chazelle insère une séquence de 3 minutes d'extraits d'émissions de télé de l'époque, d'interviews de gens ordinaires et de célébrités (dont Kurt Vonnegut) qui expliquent que ça ne sert à rien, avec une chanson par un homme noir ("Whitey on the moon") qui proteste contre les sommes folles dépensées dans la course à l'espace. Mais rien n'est fait avec ça, on ne comprend pas à quoi ça sert, est-ce que Chazelle a voulu montrer qu'il était conscient du climat politique ? Est-ce qu'il a voulu donner l'impression que la NASA était seule contre tous, et que le public n'a considéré l'exploration spatiale comme en valant la peine qu'une fois arrivé sur la Lune ? Quelle place ça a dans un film aussi centré sur le point de vue de son personnage principal ?
Mais le problème du film c'est Armstrong, ce qui est un peu dommage pour un biopic sur Armstrong... Ce n'est pas que le jeu de Ryan Gosling soit mauvais, évidemment, mais son arc narratif prend trop de place : l'idée de Chazelle c'est qu'Armstrong a été tellement bouleversé par la mort de sa petite fille qu'il n'a plus été capable de se connecter émotionnellement avec qui que ce soit et qu'il s'est concentré sur son travail. On raconte l'histoire au début du film, mais Chazelle y revient très souvent par la suite, avec des flashbacks assez clichés, des images de bonheur domestique en famille qu'on croirait sorties d'un magazine. Je ne sais pas cette interprétation de la vie d'Armstrong est vraie, de ce que j'en ai lu il avait effectivement été très affecté et il était très "stiff upper lip" mais peut-être pas au point d'être si réservé et de continuer son travail avec détermination mais sans aucun enthousiasme apparent. Le film voudrait être personnel, intimiste, mais il devient presque claustrophobe.
Et comme le film se concentre exclusivement sur lui, impossible d'y échapper. Les autres personnages sont tellement sous-développés que je me souviens à peine de leurs noms : la femme d'Armstrong s'appelle Janet et c'est à peu près tout, et si je ne savais pas que le deuxième homme à marcher sur la Lune était Buzz Aldrin ce n'est pas First Man qui me l'aurait appris. D'ailleurs je ne sais même pas si Michael Colllins, le 3ème astronaute, a une réplique parlante. C'est un peu dommage de ne pas arriver à différencier les personnages secondaires, même si c'est l'un des problèmes qui émergent quand on fait un film historique sur la conquête de l'espace qui n'est pas Les Figures de l'ombre : il n'y a que des hommes blancs de 45 ans qui s'habillent et parlent de la même façon. On montre l'entraînement mais pas les hommes qui s'entraînent, ils ne font pas vraiment partie de l'histoire (avec un grand H), et tout ce qui se passe dans le film (y compris la mort de certains de ses collègues lors de vols et d'essais) tourne maintenant autour de lui personnellement.
Aucun sens de collectif ne se dégage, je sais que l'espace c'est vide et sombre mais c'est pas une raison pour manquer d'humanité comme ça.