Une petite fille tournoie, les bras en croix, sur la lande qui surplombe la mer, puis tombe sur le sol, le visage et les yeux tournés vers le ciel. Visage d’ange, qui semble s’abreuver directement à tout ce qui échappe au commun des mortels, unissant en elle les forces de l’air et les puissances chtoniennes. Le bas d’une robe s’approche de ce petit corps d’enfant et le titre s’articule, proféré par une voix lente, hautement singulière, identifiable dès la première syllabe : « Fleur de tonnerre, il est temps de rentrer à la maison... ». Catherine Mouchet, campant Anne Jégado, mère de la plus grande tueuse en série qu’ait connue l’Histoire française, a parlé, dotant ainsi sa fille Hélène (1803-1852) d’un terrible surnom.
Dès lors, suivant un cheminement d’abord chronologique puis reposant sur une série de flash-backs, dictés par l’avancée du procès instruit contre l’accusée, la réalisatrice Stéphanie Pillonca-Kervern s’attache à restituer les différentes étapes du parcours de cette empoisonneuse, au hasard de ses emplois successifs de cuisinière, chez les uns ou chez les autres, hommes d’église, bourgeois ou nobles de Bretagne. Deux visages de chanteurs-acteurs contemporains surgissent ainsi dans cette galerie de figures tantôt immolées, tantôt préservées : Christophe Miossec, en prêtre discrètement séduit par la jeune femme à laquelle Déborah François, à la suite de Blanche François, prête ses traits ; Benjamin Biolay, en employeur fortement épris ; Jean-Claude Drouot, puis Féodor Atkine, l’un puissamment émouvant, l’autre dardant sa perspicacité redoutable...
Le directeur de la photographie, Hugues Poulain, excelle à restituer la luminosité éteinte, brune pour les intérieurs, bleue pour les extérieurs, de cette Bretagne du XIXème siècle, infestée par un choléra qui masqua d’autant mieux les agissements de la Jégado et terrifiée par tout un faisceau de croyances populaires, fortement ancrées, qui permirent à une jeune femme craintive de se prendre pour l’Ankou. L’Ankou, cette haute figure du légendaire breton, supposé être le dernier mort de l’année écoulée, venant chercher tous ceux de l’année suivante, et s’annonçant par le crissement des roues de sa charrette. La bande-son du film rend audible ce sinistre grincement, reçu par Hélène Jégado comme l’injonction, donnée par l’Ankou, qu’elle devait fournir une nouvelle victime à celui qu’elle avait pris pour maître.
Bonne connaisseuse du territoire et de l’imaginaire bretons, Stéphanie Pillonca-Kervern réussit, dans ce premier long-métrage, une belle plongée dans une psyché désaxée. Ou comment une peur panique de la mort pourra conduire un esprit fragile, traumatisé par les contes de la veillée espionnés depuis son lit clos, à préférer devenir lui-même le bras armé de l’Ankou, quitte même à le devancer, plutôt que de rester le spectateur passif, impuissant et terrifié, de ses différentes prédations...