Il ne manquait rien aux films de Ozu, seul peut-être la couleur... Encore que certains puristes du cinéaste nippon préféreront toujours la sécheresse du noir et blanc de la première période profondément ancrée dans le traditionalisme japonais. Chez Ozu, la couleur n'est pas qu'un ornement pictural, une prétention technique, une fantaisie bourgeoise. Elle illustre le passage de témoin d'une génération à une autre et, par répercussions, annonce les évolutions sociétales/sociales d'un pays encore écorché par la guerre. Entrée dans les foyers, la télévision marquait le début du divertissement et frappait de plein fouet la jeune génération sous l'oeil de l'ancienne, perplexe de cette intrusion culturelle. À cette époque, le Kabuki perd de sa superbe mais reste cependant une vertu folklorique à laquelle le peuple japonais reste attaché. Bonjour, réalisé en 1959 se concentrait autour de la boîte à images mais il fallait, au demeurant, ouvrir l'esprit du patriarche avant d'aborder le progrès d'ordre technique. C'est ce qu'entreprend un an auparavant Fleurs d'équinoxe avec la ferme intention de cerner sa thématique principale: l'engagement conjugal. En ce sens, l'incipit est un modèle d'exposition extérieur (les plans d'une gare de Tokyo) découvrant deux employés de chemin de fer assis sur un banc durant leur pause prompts à échanger sur le physique des mariées de passage sur les quais. L'information capitale rapidement assimilée, le spectateur peut alors épouser le regard de Wataru Hirayama (Shin Saburi), cadre respecté d'une entreprise, large d'esprit et capable de répandre la bonne parole à son entourage sur la question du mariage. Suivra-t-il seulement ses conseils lorsque son aînée avouera être éprise de l'un de ses employés ?
Si Fleurs d'équinoxe à la fonction du film choral sans en être réellement un (aucune dilution de la fonction sujet), le métrage ne quitte jamais sa cheville principale autour de laquelle s'articule le récit tout en s'autorisant à brosser nombre d'autres portraits. Wataru Hirayama, figure de l'éternel patriarche représente autant la perte de contrôle d'un chef de famille que l'idée du progrès s'instaurant peu à peu dans un Japon se libérant de ses traditions familiales. D'une lecture en surface sur l'éclatement du microcosme de la famille et du progrès qui en découle, il conviendra de parler de l'ordre puis du chaos dans un environnement où le père à la mainmise sur le destin de sa descendance. On se souvient de "la dette de coeur" de Setsuko Hara envers son père veuf Chishu Ryu dans Printemps tardif qui évoquait la notion de sacrifice de la jeunesse. La bonté émanant du paternel venait à résoudre cet emprisonnement générationnel pour une morale sauve. Fleurs d'equinox se range du côté de l'antithèse. À l'aube des années 60, le mariage arrangé ne respecte plus les conventions d'une ère maintenant (dé)passée. Le but avoué d'Ozu est d'exploser les carcans sociaux et de faire face à l'autorité paternelle. Les femmes en âge de se marier peuvent choisir leur futur conjoint mais il faudra en passer par les confrontations verbales et les pleurs. Une lutte intestine pour une évolution des mœurs dont l'hommage discret est rendu aux Maîtresses de maison, pivots essentiels dans la diffusion d'une certaine bienveillance.
Tout comme chaque film du Maître Japonais, Fleurs d'equinox s'établit dans une architecture angulaire tout en verticalité mais cette fois-ci épaulée par la couleur. Le chemin de fer et les immeubles remplacent les campagnes. Tout en optimisme et en mutation le Japon nouveau se relève et émerge de son passé de guerre pour une irrémédiable ascension urbaine.