Esquisses d’esquif
L’inondation qui ouvre Flow et met à l’épreuve son protagoniste, un chat condamné à affronter sa peur de l’eau, métaphorise à merveille le dispositif mis en place par Gints Zilbalodis : du passé...
le 31 oct. 2024
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Flow est l’histoire d’un petit animal, agressif mais froussard, qui va se retrouver durant un déluge sur une Arche menée par un Capybara et qui va apprendre à devenir sympa au contact d’un gruiforme, ou plutôt d’une sorte d’échassier cheulou, d’un bon chien un peu moche et d’une baleine de chez Pandora. Bon, on va pas tortiller du pétard pour rien, ça ne m’a jamais plu et sans forcément m’ennuyer, je suis resté de marbre devant cette histoire que ses auteurs ont voulu, désespérément j’imagine, poétique et inspirante.
Dès le début, le rendu visuel et sa mise en scène m’ont repoussé à une certaine distance du propos. Les images m’ont constamment donné l’impression d’être devant une Playstation alors que je ne pense pas avoir jamais joué avec un tel appareil et qu’à l’époque où j’ai arrêté de jouer aux jeux vidéos on les payait encore en francs. Alors pourquoi pas ? me direz-vous. Oui, bien sûr, mais bon pourquoi ? Au lieu de convoquer mon émerveillement, les « belles images », couchers de soleils ou lumières rasantes dans une forêt luxuriante m’ont rappelé les images que j’avais pu voir de ce fameux GTA avec des canassons. Je ne tournerais pas autour du pot, j’ai trouvé ça affreusement ringard, et esthétiquement naze, convoquant le même feeling, en fait, que lorsqu’on se retrouve aujourd’hui devant une « superbe » illustration pondue par Midjourney. Cette impression que l’enchantement a déjà laissé place à une profonde fatigue. Je comprends que le film n'avait pas un gros budget, mais pour moi, les astuces pour y palier n'ont jamais fonctionné.
Constamment, le film va tenter de faire planer des petits moments suspendus et éthérés où, à la grâce d’une contemplation un peu magique, la poésie ferait son œuvre mais qui se révèlent souvent ratés, franchement kitchs, et visuellement toujours assez vilains. C'est fort subjectif, j'en conviens, mais je pense par exemple à ces passages où la fine équipe évolue à travers une ville engloutie. Difficile d’adhérer à l’histoire, et d’avoir l’impression de voir une ville abandonnée, ou un royaume qui aurait été balayé par un désastre. Au-delà d’une esthétique pompière et d’une direction artistique assez grossière, peu travaillée et sans imagination, c’est extrêmement plat. Des cubes, avec une texture bidon un peu moche. Et jamais le film n'arrive, par le récit, à te faire croire à ce que tu vois.
On pourrait également citer toute la scène e l’oiseau qui part dans un monde parallèle et qui résume parfaitement ces soucis d’engagement émotionnel et esthétique. Le film se transforme alors rapidement en une succession de moments similaires, tous aussi laborieux dans leur intégration à un récit bancal et dans leur mise en scène graphique douteuse.
Bien sûr, c’est assez délicat d’imposer ce genre de chose et de convoquer notre hébétement esthétique face à quelque chose de purement visuel. Cette scène de l’oiseau au sommet de cette montagne m’a rappelé Scavenger Reigns. La façon dont cette série animée arrive à mobiliser notre fascination dans des moments suspendus et poétiques fonctionne parce que c’est inédit, inattendu et que ça se coule dans un récit bien mené, et dans un univers qui arrive à associer le fait d’être à la fois tout à fait compréhensible, et extrêmement mystérieux. Ici, on ne sait rien, on ne comprend rien de ce monde, sauf qu’il se passe des choses au fur et à mesure pour aider les scénaristes à faire avancer leur histoire. Le déluge par exemple, le film semble nous dire que c’est un évènement cyclique, comme en témoigne la présence d’une barque dans un arbre au début du film. Pourtant, la maison sympa du mec qu’on imagine trop cool parce qu’il sculpte des chats dans son jardin n’a jamais été inondée. Les animaux sont-ils des animaux ? Rien que des animaux ? Où sont-ils anthropomorphisés ? On est dans quel univers ? Un Walt Disney ou est ce que c'est plutôt Demain les Chiens de Simak ?
Le film ne semble jamais en être sûr, ne sait pas sur quel pied danser, fait feu de tout bois suivant les péripéties, passant de l’un à l’autre constamment, nuisant ainsi à la lisibilité de la psychologie des personnages, et donc à l’intrigue en entier. Et dans cet univers qui se donne l’illusion d’être vaste, on ne verra, à part les quelques protagonistes, qu’une poignée de bestioles, ce qui renforcera l’impression d’artificialité de ce monde vide, déprimant, manquant de vie, à la fois dans ce qu’on voit, à la fois dans la façon dont on le voit.
Le pire, c’est que cette balourdise est encore accentuée par une musique d’ascenseur qui semble générée au fur et à mesure par une IA, entrant et sortant comme si le film était un moulin. Le chat se met à courir, paf une copie un peu wish de la musique d’Akira apparait. Ils s’arrêtent, la musique s’arrête. De plus, en ramenant vers lui des éléments empruntés à cet esprit de la nature qu’on trouve chez Miyazaki, Flow est pris la main dans le sac à essayer de chiper en douce un peu de ce plaisir unanime qui se dégage à l’évocation de ces films. Je ne suis pas sûr que l’entourloupe fonctionne vraiment, et pour moi cette démarche a simplement pris la main du manque de personnalité cruel que dégage le film pour partir dans une balade de plus en plus casse bonbon.
Il faut aussi un certain courage pour suivre comme personnage principal un chat, certes justement présenté comme une petite crapule égoïste, mesquine et méchante, mais qui va apprendre à nager, partir en voyage, rencontrer d’autres animaux et surtout revenir en se disant qu’avoir des amis, eh bien c’est bien quand même. Einh, c'est bien d'avoir des amis, parce que les amis, c'est bien. Bon, d’un côté il va apprendre à tuer plein de petits poissons pour les grailler, et de l’autre on va croiser une grosse baleine moche qui est évidemment dépositaire d’une sagesse ancestrale parce que c’est une grosse bête. Cette histoire de petits poissons et de grosse baleine m’aura fait sourire, sifflant au bon souvenir de ce célèbre philosophe belge qui nous disait : « Tu tues une baleine, t’as le commandant Cousteau, t’as Greenpeace sur le dos, tu tues un banc de sardine ? Je te prie de croire qu’on va t’aider à les mettre en boite ! » Personnellement, j’ai vu que le film essayait de m’arracher un peu d’émotion et faisait semblant de se donner une ampleur mysticophilosophique à la fin, mais c’était peine perdue. La naïveté bondissante du début avait troqué sa relative fraicheur pour une lourdeur pachydermique et assommante.
Après de longues dizaines de minutes à pas faire grand-chose, le film se termine sur une petite idée visuelle, un reflet dans la flaque troublée par un rythme lourd qui s’éteint. C’est pas vilain, mais c’est un peu tard et surtout, redondant (cette idée du verre d’eau de Jurassic Park et de The Post plaisait visiblement au réal puisqu’il va nous la servir plusieurs fois dans le film). Alors peut-être y’a un sens derrière ce bégaiement visuel, mais ça m’a pas marqué. Dommage, j’aurais bien aimé accrocher à tout ça, mais rien à faire, j’ai trouvé ça moche. J’ai trouvé ça lourd dans la façon de s’imposer comme une œuvre douce et poétique, mais qui utilise sans aucune subtilité des moyens grossiers. En prenant comme personnage principal un petit chaton tout mignon, le réalisateur savait qu’il pouvait compter sur une foule de toxoplasmés qu’il n’aurait pas besoin de convaincre. Pour les autres, c’est plus compliqué.
Bon, je ne suis guère positif sur ce film, mais attention, je n’y ai rien vu de honteux ou de franchement agaçant non plus. Le film est court, et il arrive à dégager un intérêt poli qui permet au spectateur récalcitrant de voir arriver le générique de fin sans trop de peine. C'est pas si mal et c'est tout juste assez intriguant pour donner la vague envie de se pencher sur l’œuvre du réal, passée et à venir.
C’est juste que cette histoire de petit chat et cette ambiance de conte à la Polo Coelho tricoté sur PS2 m’a laissé sur le bord du chemin. Loin. Là bas tu vois, ah non, on me voit déjà plus je suis trop loin.
Créée
le 21 nov. 2024
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