Un récit immergé dans l’actualité réalisé avec beaucoup de sensibilité, tourné en format 4/3 et en noir et blanc pour privilégier l’esthétique et l’importance de l’opposition noir/blanc ou nuit/lumière.
La jeune éthiopienne de 14 ans, catholique, remarquablement interprétée par Kidist Siyum Beza, a son destin déterminé par sa bonne et mauvaise fortune en même temps. Le paysage dénudé et aveuglant de blancheur neigeuse du Grand Saint Bernard signifie que la protagoniste est dans un monde de limbes où son destin est en attente.
Mais le thème principal du film, avant la question des migrants ou à égalité avec elle, me semble être la question de la vocation religieuse, ici très intelligemment traitée, quand les règles ou le dogme doivent céder la place devant le simple humanisme. D’ailleurs dans un des dialogues du film la question « l’humanisme athée est-il important ? » trouve une réponse positive car la thèse du réalisateur est que cet humanisme transcende les religions. Les scènes d’échanges entre les religieux qui accueillent ces africains et aussi nombre de roumains sont réalisées sur un ton très équilibré et sans excès ou traits caricaturaux, avec l*’interprétation magistrale* du rôle de Frère Jean par Bruno Ganz.
La personnalité controversée de Kabir, l’amant de Fortuna, musulman qui peut se montrer violent et peu respectueux de la femme, est apparemment « rachetée » ou excusée par la scène de la prière musulmane qui est une tentative du réalisateur pour ne pas être accusé d’islamophobie. Il montre cependant qu’ici le bien et le mal cohabitent, comme chez les chrétiens qui, lorsqu’ils se protègent derrière leur dogme, font preuve d’égoïsme et se débarrassent de toute implication personnelle.
La scène finale où un long travelling avant sur Fortuna éclairée par un feu qu’elle fait dans la neige au cœur de la nuit laisse exprès le récit en suspens et laisse le spectateur interpréter la suite de l’histoire de Fortuna, livrée à la fortune des évènements de sa vie. Sont-ce les bûches que l’on avait vu Kabir fendre dans deux scènes distinctes, dont la deuxième était alimentée par une rage furieuse ? Fortuna est-elle en train d’exorciser cette colère et cette violence, elle qui est l’image de la douceur et de l’amour de la vie comme on le voit dans les scènes avec l’âne et avec les poules ?
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