Il y a quelque chose d’éminemment fascinant dans Foxcatcher et ce, dès la première scène, sorte de chorégraphie triste entre un lutteur et un pantin. La lutte, ce sport du corps, du sang et de la sueur (filmée ici à peu près comme une séquence de jazz dans Wiplash - mais en moins spectaculaire) est ici montrée comme un affrontement qui ressemble aussi étrangement à une étreinte. Le sport ici est pris pour ce qu'il est : l'exaltation de quelques hommes à gagner au nom d'une Nation - ici l'Amérique telle que la voit John du Pont, à redorer.C’est en gagnant coup sur coup les mondiaux puis les jeux olympiques qu’il compte faire ça. Pourquoi la lutte ? Le sport est montré à la fois comme viril et extrêmement « sexuel » quand c’est Du Pont qui le pratique. C’est en tout cas comme ça que le voit sa castratrice mère – la seule femme (ou presque) que l’on voit dans le film – qui voit son fils humilié par ce sport. C’est d’ailleurs assez drôle de voir Du Pont faire de la lutte en catégorie seignor avec des adversaires payés pour se coucher et attendre.
Ce qui fascine aussi c’est ce trio extravagant, sorte de monstre à trois têtes, qui officie dans le film sous les traits d’acteurs au sommet (Channing Tatum, Steve Carell, Mark Ruffalo). Car dans la lutte, il y a deux choses : faire tomber l’adversaire et le maintenir. L’emprise est totale. Dans la vie de Mark Schultz, ancien gagnant d’une médaille d’or qu’il exhibe devant des classes d’enfants pour parler de l’Amérique, il n’y a plus rien si ce n’est ses entraînements avec son frère, le tacticien, lui aussi en possession d’une médaille d’or, qui s’est rangé auprès de sa famille. Dans la première séance de lutte filmée entre les deux frères, il y a d’ailleurs du sang qui jaillit. C’est donc en consultant son frère que Mark Schulz rejoint Du Pont, seul. L’homme l’a fait venir chez lui, par avion, sans un mot d’abord sur ses intentions. Il devient vite un mentor pour Mark en quête d’un père spirituel. Gardé comme un trophée à exhiber dans une maison attenante à la celle de Du Pont, Mark est à la merci des caprices d’un homme. Il gagne une première fois, entraîné comme un fou, avant de devenir un moyen de puissance, puis de se laisser aller peu à peu, cesser les entraînement, devenir un peu la « poule » de Du pont, quelque chose de très imperceptible se joue, jusqu’au basculement vers la haine. Le corps, là encore, subit beaucoup. Au-delà de Mark, qu’il veut absolument posséder, John Du Pont cherche à atteindre la raison en la personne de Dave Schultz, le grand frère. La salle d’entraînement devient un camp retranché où l’on tourne un film de propagande à la gloire de Du Pont et où l’on voit Dave Schultz répéter bêtement ce qu’on lui demande face caméra. C’est un écho lointain aux mots que Mark avait dû prononcer face à une tribune. Car derrière tout sport physique se cache un mental. C’est sur lui, et exclusivement sur les recoins du cerveau, de la manipulation et de l’humain, que se base le film, en confrontant les hommes dans des champs contre-champs, en répétant certaines scènes, en simulant des artifices, et en présentant le corps de Mark comme un empêchement (sa démarche), ou celui de Du Pont comme impuissant, ainsi que celui de Dave comme imposant (il force le respect, c’est un imprésario).
Enfin, dernière fascination : l’atmosphère. Foxcactcher est un film taiseux, un film d’images, de mise en scène, de corps à corps. Les discours sont souvent implacables, eux-mêmes mis en scène par ceux qui les prononcent. Tout cela se passe dans un décor tour à tour inquiétant et brumeux, une sorte de huis clos encore plus enfermant quand il se déroule entre les quatre murs d’une salle de sport. D’ailleurs dans la dernière partie inévitable et angoissante du film, il neige, la pesanteur se fait sentir. Ankylosés les corps doivent se remettre en marche, dans la rage, ou dans l’effondrement. On court vers quelque chose d’inévitable, car de l’étreinte à l’étranglement il n’y a qu’un pas et il est sûr que quand un aigle saute sur sa proie, aussi imposante soit-elle, elle ne peut que tenter de se dégager, déjà dévorée en partie, coquille vide dont bientôt on retire la vie. [A la différence de Whiplash, le bourreau ne prévient pas quand il frappe, il ne cherche pas à créer derrière la destruction, juste à détruire car ce n’est pas la passion qui le guide, mais le désir de domination et, surtout, la folie.]