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« What do you hope to achieve, Mark ? » Cette question de John du Pont, recelant déjà de sens et d'interprétations multiples, annonce une certaine analogie entre le projet du coach et celui du jeune Bennett Miller. Retirons cet air hautain et prétention de la question de du Pont, nous aurons un aperçu de la ligne de mire que s'est donné le cinéaste au cours de la préparation de cette œuvre folle et immense, semblant chercher à atteindre une perfection absolue dans tous les sens du terme, rarement observable dans l'histoire du cinéma américain des années 2000. En un seul et unique visionnage, "Foxcatcher" paraît éviter en permanence le faux pas attendu. Et c'est bien sur ce paradoxe que le film comporte un défaut, purement subjectif et qui variera probablement d'un spectateur à l'autre. Aux côtés de nombreux autres films américains de sa génération, "Foxcatcher" ressemblerait davantage à une principauté singulière s'inscrivant dans un classicisme des plus raffinés, mais présentant subtilement dans un même temps une vision moderne et décadente de cet événement à priori tout sauf extraordinaire, y compris pour Miller qui revendique la durée nécessaire à sa prise de recul sur ce fait divers l'ayant d'abord fait sourire à sa découverte.

Cette volonté passionnelle de conter des faits réels se manifeste depuis le début de sa courte carrière. De "Truman Capote" au "Stratège" s'est dessinée progressivement une ambition d'élever son cinéma au rang des plus grands, travaillant méticuleusement sur sa mise en scène et son jeu d'acteur, qui semblent être les deux composantes essentielles participant à sa recherche de véracité, non au plus proche du réel mais à l'inverse au plus fidèle à sa vision d'auteur, ses ressentis (jouissance, tristesse ou obsession dans le cas présent) face à l'histoire brute qu'il souhaite nous raconter, magnifiée mais sans pour autant purgée de toute ambiguïté et de mystères. A défaut d'intertitres au début et à la fin du film, nous ne faisons clairement jamais face à une chronique réaliste objective de l'histoire. Au contraire, le propos personnel et subjectif du cinéaste en ressort clairement tout en conservant une fine discrétion. Plutôt que de repousser ses limites narratives et formelles, Miller préfère les explorer jusqu'à leur moelle et entourer ainsi son ambiance singulière d'une aura glauque et énigmatique, conservant le doute et le questionnement des actes de la plupart des personnages. Remarquons que ce n'est pas souvent dans son écriture que "Foxcatcher" en dit le plus long sur ses protagonistes : à l'instar du "The Immigrant" de James Gray (à qui l'on a maintes fois reproché le caractère creux et superficiel de sa petite histoire), c'est par sa mise en scène que tout s'opère.

"Foxcatcher" ne déroge pas à la règle et vient renforcer – sans jamais souligner abusivement – les atouts majeurs du jeune cinéaste américain. Après le baseball, c'est au tour du sport de lutte de passer sous sa caméra regorgeante d'idées de mise en scènes plus ingénieuses les unes que les autres. Là où nous pourrions nous retrouver devant un deuxième "Stratège", Miller balaye dès les premières minutes l'idée que son nouveau film se centrera de nouveau sur une classique introspection des règles d'un sport, et la psychologie de ses joueurs. Avec douceur et anxiété nous pénétrons dans l'antre d'un film familier qui semble parcouru d'une large cicatrice profonde, elle même révélatrice d'une mélancolie certaine appuyée par une bande son ne sortant jamais inutilement les grands violons.

A la suite d'une exposition froide et légèrement insignifiante, la première confrontation de John du Pont (Steve Carell) et Mark Schultz (Channing Tatum) annonce la couleur sans pour autant dévoiler la tournure que prendront leur relation, malgré la connaissance du dénouement d'ores et déjà présente dans le synopsis. Un malaise irradiant se propage ainsi par la scénographie d'un décor terne et incolore, comme nous pourrions voir ailleurs dans la fin d'une longue épopée se concluant tristement. A l'inverse du précédent film, Miller ne souhaite pas montrer une ascension semée d'embûches sous forme de longue fresque épique, mais préfère se concentrer sur un film d'atmosphère à transmettre par l'intermédiaire de l’impressionnant personnage du coach ayant beaucoup fait parler de lui lors du drame de la fin des années 80. Grimé et méconnaissable, Steve Carell dépasse toutes nos attentes pour nous livrer une performance exceptionnelle dont la presse a pour ainsi dire nettement plus parlé que du film lui même. Là encore, le souci de réalisme en falsifiant le vrai visage de l'acteur n'apparaît pas comme un simple ressort illustratif, mais davantage comme une figure aussi dévastée que dévastatrice d'où découle la plus grande émotion, à l'image du vieillissement de Robert de Niro dans "Il était une fois en Amérique" de Sergio Leone (1984). Ce vieil homme aigri et tourmenté possède à n'en pas douter un lourd passé traumatique, finement esquissé et suggéré par les relations mère/fils dans deux séquence absolument bouleversantes d'évidences et de vérités que l'on ne souhaiterai pas entendre, pourtant inaltérables. Cette compassion pour le personnage de John du Pont le caractérise telle une brute violente et infâme malgré lui, et le danger que suggère la tension permanente acquiert progressivement un sentiment insoupçonnable d'une certaine jouissance, habilement cristallisé dans le tournage du documentaire sur le coach. L'aigle doré revendique un impressionnant patriotisme qui parfois frise volontairement le ridicule. Le voir s'en délecter comme de son seul espoir de vivre laisse poindre une émotion contradictoire en accord avec l'environnement figé et glacial.

Mark Schultz apparaît quand à lui comme un animal soumis, véritable armoire à glace dont nous discernons les pensées sans qu'elles ne soient jamais exposées au grand jour. Cette hallucinante séquence où des images de sa relation avec du Pont surgissent telles de lourdes réminiscences inoubliables témoigne de la tonalité sombre et nostalgique qui traverse film. Avec des images d'archives en guise de cette somptueuse ouverture, et de la présence encore marquée d'armes de guerre sur la propriété de du Pont, Bennett Miller instaure l'omni présence invisible d'un paysage de guerre dont les effluves semblent condamnées à ne jamais disparaître, tout comme ces nombreux tableaux de la renaissance espionnant en permanence les protagonistes, apparaissant sous un certain point de vue durablement hostile à l'ascension de Mark. Hors de la maison, il y a le combat et la compétition. Ces séquences si particulières par leur découpage rendant les affrontements anti-spectaculaires, préfèrent suggérer une violence intérieure rongeante que de dévoiler platement et par un jeu démonstratif de montage la dureté de l'épreuve à la manière du "Whiplash" de Damien Chazelle. Ne se réfugiant jamais derrière sa mise en scène et son jeu d'acteur pour masquer ses invisibles défauts, "Foxcatcher" relève d'une prouesse inégalée dans la grandeur qu'il développe, paraissant à la fois d'une simplicité exemplaire et impuissante. En créant ce résultat inverse, Miller se retrouve avec un diamant entre les mains, jamais brut mais constamment poli tel une pièce maîtresse d'une exposition prête à faire le tour du monde. Un petit bijou couronné d'un prix cannois parfaitement adapté à sa qualité supérieure de première classe.
Forrest
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le 23 janv. 2015

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Forrest

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