Lycra bien qui lycra le dernier

On pense à beaucoup de choses pendant Foxcatcher, beaucoup de choses qui nous passent par la tête, qui nous triturent et nous questionnent : qu’est-ce qui anime John E. du Pont, qu’est-ce qui inspire cet étrange milliardaire dirigeant un camp d’entraînement de lutte olympique, cet excentrique dans son genre avec ce nez saillant, ce pic, ce roc, cette péninsule ? Qu’est-ce qui le stimule, le galvanise dans cette relation singulière avec ce jeune lutteur un peu bêta et son grand frère plus dégourdi, dénichés au fin fond d’une banlieue grise et triste ? Beaucoup de choses donc. Des supputations, des gouffres, des évidences peut-être.

Serait-ce un appétit homosexuel latent (tous ces hommes musclés en singlet lycra qui s’empoignent, qui suent et qui grognent) ? Une attirance violente et réprimée pour Mark ? La nécessité de pouvoir impressionner, de s’imposer auprès d’une mère castratrice qui l’intimide et le déprécie ? Est-ce le besoin pathologique de dominer, de se substituer, d’être un père, un mentor, le héros discret d’une Amérique idéalisée, fière et puissante ? Une disposition perverse à vouloir manipuler, à posséder puis à rejeter, par pulsion ou par jalousie ? Le film de Bennett Miller effleure tous ces points, les suggère sans vraiment y répondre, entretenant de fait une constante confusion psychologique qui, pourtant, aurait pu s’ouvrir à plus d’ambiguïtés encore.

Foxcatcher cherche davantage à évoquer qu’à montrer ou à expliciter (tant mieux), mais cet aspect de non-dit constant finit par frustrer sur la longueur en dévaluant les enjeux en cours (mais enclenchant une inexorable mécanique de l’aliénation, jusqu’au pire…) et bridant la moindre émotion. Il développe en revanche une troublante analogie avec les animaux, comme si les personnages se retrouvaient dépassés par leur comportement, guidés d’abord par leurs instincts : désirs indécis et reconnaissance maternelle pour John (scène glaçante où il s’échine, devant sa mère, à prouver ses connaissances techniques en lutte), argent et gloire pour Mark, penchants protecteurs pour Dave.

Marc ressemble ainsi à un gorille, dans son faciès, dans son regard et sa démarche, Dave à un ours, John se fait appeler "aigle doré", mais a des airs de murène toujours à l’affut, déteste les chevaux et étudie les oiseaux, et puis il y a le renard du titre bien sûr, ce renard que l’on chasse et que l’on achève. Channing Tatum et Steve Carell, flippant en démiurge impassible, tout en frustrations rentrées, sont remarquables dans ce rapport intime qu’ils engagent, puis ce duel larvé qu’ils se livrent (John ira jusqu’à sciemment provoquer Mark aux J.O. de Séoul en 1988). Étonnant en revanche d’avoir décerné le prix de la mise en scène à Cannes pour une réalisation certes ultra maîtrisée, mais surtout très classique, lissant une œuvre qui parvient, néanmoins, à procurer de lents poisons.
mymp
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le 9 janv. 2015

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