D'une beauté glaçante et rigide.
Ce prix de la mise en scène décerné à Foxcatcher figure probablement parmi les récompenses les plus légitimes du dernier Festival de Cannes. Implacable, la mise en scène de Bennett Miller l'est sans aucun conteste. La photographie, superbe, apporte une profondeur assez phénoménale à ce qui passe devant la caméra du réalisateur, une caméra intelligente et prodigieuse.
Outre la virtuosité vertigineuse de Bennett Miller, l'intrigue en elle-même se déploie très lentement dans la première partie du film, quitte à s'avérer peu stimulante pour un spectateur qui ne sait comment aborder cet objet curieux. Sur fond de patriotisme exacerbé et de rage de vaincre inébranlable, un Channing Tatum patibulaire est filmé sous tous les angles, jusqu'à cette rencontre avec John Du Pont, campé par un Steve Carrell enlaidi et très surprenant. L'entente à priori parfaite entre ces deux personnages, liés par des idéaux communs, laisse pourtant déjà place à un certain malaise. Quelque chose d'inexplicable. C'est là que le film triomphe, peut-être parfois de manière un peu trop satisfaite et complaisante: la puissance des non-dits laisse dès le début présager le pire. Ces silences exigent alors automatiquement la lenteur dans laquelle évolue le film: c'est implicitement que se dessine petit à petit le personnage ambigu de ce coach aux motivations obscures, c'est tout aussi implicitement qu'apparaissent les premières fractures, d'abord entre Mark (Tatum) et son frère (un Mark Ruffalo assez agaçant), puis finalement entre les trois personnages. Le personnage campé par Steve Carrell est assez fascinant, dans la mesure où c'est lui justement qui régit l'évolution des liens fragiles entre les personnages. Ce film est tout simplement un film sur le désir excessif de possession, sur la domination, sur l'orgueil aussi. La tension malsaine qui règne tout au long de Foxcatcher est une tension animale, éminemment sexuelle, une tension insupportable car toujours canalisée par la maîtrise inouïe dont fait preuve Miller. Jusqu'au final, cruel, ignoble, glaçant, glacial même, cette tension se fait de plus en plus oppressante et étouffante, gagnant jusqu'à la psychologie des trois personnages entre lesquels ce lien mortifère ne mène qu'à la destruction de l'autre.
Mais cette virtuosité glaciale est justement ce qui rend le film difficile à juger. Bennett Miller semble parfois se complaire dans cette rigidité, notamment à travers le personnage d'un Steve Carrell qui paradoxalement en fait peut-être un peu trop dans ce désir d'impassibilité inquiétante. Foxcatcher est un film marquant, certes, aussi raide que sophistiqué, un film finalement assez cérébral, mais aussi peut-être un film trop désincarné, laissant alors dans notre mémoire une trace bien présente, mais confuse, pas indélébile. C'est sûrement cela pourtant qui lui attire les louanges de la critique, mais à mes yeux cette véritable leçon de cinéma aurait gagné à mettre un peu moins l'accent sur cette froideur revendiquée.