Combat psychologique intense entre 3 personnalités hors du commun, Foxcatcher n'est pas un film sportif. Loin de là. La lutte, ici, n'est que le prétexte, le théâtre d'un jeu plus viscéral et malsain qu'un simple sport ne le sera jamais.
Inspiré de faits réels, cette histoire relate la façon dont l'emprise d'un homme sur un autre peut entraîner des effets insoupçonnés. John Du Pont (Steve Carrell), riche héritier, veut concrétiser sa passion pour la lutte en ouvrant un centre d'entraînement qui, il l'espère, attirera les plus grands lutteurs du pays. Il invite Mark Schultz(Channing Tatum), récent médaillé d'or, à rejoindre son équipe en échange de quoi il sera nourri, logé, et blanchi. Schultz, qui regrette tous les jours que son sport ne soit pas plus reconnu par les USA, accepte sans broncher. Au contraire de son frère et entraîneur, Dave Schultz(Mark Ruffalo), qui préfère décliner l'invitation pour s'occuper de sa famille. S'en suit un véritable drame psychologique entre les trois personnages, arbitré par l'ombre toujours menaçante de la mère de Du Pont.
Miller parvient à tirer le meilleur de cette histoire qui aurait facilement pu tomber dans l'anecdotique. Non, ça n'est pas simplement un milliardaire excentrique et démentiel. Mark n'est pas non plus une simple victime, pas plus que son frère n'est exempt de reproche. Il fallait aller plus loin. Ne pas se contenter de raconter l'histoire qui a mené au drame final. Plutôt évoquer les personnages, leurs craintes et obsessions, leurs rancoeurs passées et présentes qui ont pu jouer au moment cruciaux. Plutôt s'attarder sur leurs échanges, potentiellement très significatifs. Pourquoi Du Pont dépense-t-il tant d'énergie à promouvoir un sport qu'il connaît finalement à peine? Pourquoi Mark Schultz est-il si seul et renfermé? Pourquoi Dave, pourtant définitif dans son refus initial, finit-il par accepter la proposition de Du Pont? Et quelle est cette mère à la robe rouge qu'on voit à peine mais qui n'en est pas moins omniprésente?
A travers une direction artistique époustouflante de naturel, qui repose aussi, il faut le dire, sur des acteurs extrêmement talentueux (mention spéciale à Steve Carrell, bluffant), Bennett Miller insuffle de la puissance aux dialogues. Ces derniers sont brefs, entrecoupés de nombreux silences significatifs, filmés sans fioritures, dans une mise en scène élaguée, purifiée, allant droit à l'essence même des relations humaines. Certaines scènes sont fortes et restent à l'esprit des jours après le visionnage (je pense particulièrement à celle où la mère vient enfin voir ce que son fils prétend avoir accompli - d'une violence psychologique inouïe). Tout est dans l'évocation, jamais la démonstration
(la relation homosexuelle entre Mark et John? Certainement, mais elle ne méritait pas plus que ces 2-3 minutes - l'essentiel est ailleurs ici)
Ce qui pêche, c'est le rythme et le montage. Même si certaines scènes méritaient des plans-séquences, le film aurait peut-être gagné à en réduire d'autres, et même à en supprimer. Car il est difficile de tenir la longueur du film. N'allez surtout pas le voir si vous n'êtes pas assez en forme pour rester hyper concentré pendant 2h: votre attention sera mise à rude épreuve, et plus d'une fois. C'est le revers d'un film à portraits, et sans véritable récit. Mais je pense que c'est également le signe d'un montage trop évasif.
A l'heure où j'écris cette critique, plusieurs jours après le visionnage, j'ai encore à l'esprit quelques plans du film, ainsi que l'atmosphère général qui s'en dégage. Foxcatcher est un film à la puissance évocatrice ébouriffante.