Le temps de l'amour, des copains et de l'aventure

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*Originaire du sud de la France, Emma Benestan retourne sur ses terres et signe Fragile, un premier film lumineux et rafraîchissant. Une comédie romantique pur jus, déjouant les codes, et assumant à fond la carte de la légèreté sans éluder l’émotion.*


Kechiche l’adore. Sète : son port, ses rues, son charme, ses couleurs. C’est dans cette ville du sud de la France qu’Emma Benestan, qui fut notamment monteuse pour le réalisateur de Mektoub my love : Canto Uno, a décidé de poser ses valises pour nous emmener, nous spectateurs, au cœur de sa première fiction, Fragile. On y suit Az, ostréiculteur et jeune loup amoureux de Jess, actrice d’un feuilleton policier local. Le temps de l’amour. Ayant prévu de se marier avec elle, le plan capote et se retrouve désormais seul. Le temps des copains et de l’aventure.


SOLIDES RÉFÉRENCES


Jonché de multiples références, le film d’Emma Benestan les explore et leur rend hommage, avec un amour contagieux et un regard tendre, aux films romantiques populaires ayant bercé nos enfances, adolescences et autres crises sentimentales. Plus surprenant, Fragile s’amuse également des séries policières, comme Candice Renoir, de manière mordante sans être moqueur. La ville de Sète étant connue pour être un bassin émergent en la matière. Le film en fait des petits pastiches comiques, ajoutant du piquant à une rom-com qui n’en manque pas. Admiratrice de l’énergie comique émanant des dialogues d’un Billy Wilder notamment, Emma Benestan provoque le comique grâce à des dialogues finement écrits, célébrant le phrasé local, l’art de la punchline, avec une musicalité significative. C’est quasi-exclusivement dans ce comique-là que le long-métrage puise sa force comique et l’énergie qui en découle est stimulante.


Comme pour le reste, Fragile s’amuse des codes, les tord, les renverse pour créer une romance à l’image de notre société d’aujourd’hui. Loin des clichés autour du genre, du sexe et de leurs représentations. Réussir ce pari, dans un modèle si balisé qu’est celui de la comédie romantique, est déjà une performance en soi. « C’est le mythe du pygmalion inversé » selon sa réalisatrice, qui est notamment allée puiser dans la fragilité d’un Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill pour son personnage d'Az.


Fragile est un film sur la danse, la sensualité, sur l’importance et la douceur des gestes. Que ce soit à travers son travail, sa passion pour la pâtisserie ou son apprentissage naissant pour la danse, Az représente, en quelque sorte, un idéal de fragilité. Il y baigne un certain sens du romanesque qui est sublimé par une mise en scène sublimement colorée, proche des corps et des visages.


AMOUR EN LUTTE


Si la comédie d’Emma Benestan est si réussie, c’est peut-être également par la connaissance de son environnement géographique et social. Même s’il reste volontairement en sous-texte, la dimension sociale et politique du film, qui trouve sa pleine existence grâce à ses personnages secondaires (excellents Raphaël Quenard, Bilal Chenagri et Diong-Kéta Tacu), n’est pas à négliger quand il s’agit d’analyser l’œuvre de la jeune cinéaste. Fragile parle de violence de classe, de déterminisme social. Elle y arrive grâce au soin apporté dans sa manière de saisir l’environnement de ses personnages. Notamment à travers le travail, les relations, le langage et les gestes.


Fragile séduit aussi et surtout parce qu’il est proche de nous. Proche de ses personnages aussi dont le film ne se moque jamais. On rigole avec eux mais pas contre eux. De ses questionnements, de son quotidien, des aspirations de ses personnages. Tout cela n’aurait finalement pas d'impact s’il n’était pas impeccablement interprété par une magnifique pléiade de jeunes acteurs. En tête, Yasin Houicha, déjà aperçu dans Divines et Le Brio, qui crève l’écran par sa présence, son charisme et sa sensibilité. Il donne la réplique à la toujours juste Oulaya Amamra, elle aussi révélée dans Divines, et qui continue son petit bonhomme de chemin avec des choix pertinents.


À l’instar de À l’abordage de Guillaume Brac, Fragile, nous offre avec une grande générosité ce qui nous a manqué depuis presque 2 ans : la légèreté d’un été, l’ivresse de l’amour. Et ces bulles de fraîcheur, en plus d’être bienvenues, sont salvatrices. Et l’espoir de voir naître une nouvelle auteure n’est, lui, pas si fragile.

JoRod
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le 23 août 2021

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