La vie conjugale ou la construction de soi et de l’autre

Il est peut-être plus facile d’être dans la peau de quelqu’un d’autre (le dialogue des corps n’en reste pas moins un apprentissage prudent et délicat, même s’il peut connaître de façon trompeuse la perfection de l’immédiateté), que dans sa tête, et c’est plutôt heureux, mieux vaut le mystère que l’évidence, l’incompréhension que la folie.

Le film ne vaut que si l’on le met en regard avec son pendant : Jean-Marc, et c’est sans doute ce double regard ou retour sur soi qui fait la force des deux films. Cette expérience esthétique, mais aussi philosophique, qui consiste à inverser les perspectives sur le déroulement des faits ne trouve pas ici la force tragique de chefs d’œuvre tels que Rashomon (Kurosawa) ou Tandis que j’agonise (Faulkner). On reste proche du marivaudage, la direction d’acteur est un rien compassée (les acteurs ont - avec le passage du temps - du mal à susciter l’adhésion), et de ce fait le film (les 2 films ne faisant qu’1) un daté dans son écriture scénaristique. Il est porté par une belle photographie N&B, le rayonnement de visages face caméra, cependant à mes yeux il réussit mieux à dessiner le trouble intérieur des personnages dans les moments collectifs, qu’à travers les scènes intimes pour lesquelles l’écriture du scénario manque que de nuance ou d’ambiguïté. Les deux versants de la scène de vie provinciale où Marie-Josée Nat s’arme d’un fusil de chasse sont exquises.

Le parti pris narratif du film serait qu’il ne faut pas mette en doute la sincérité des deux témoignages, cependant que la perception que l’on a de sa propre vie est elle-même faussée, que la mémoire est non seulement une reconstruction, mais aussi une représentation, J’aurais aimé voir apparaître dans ces deux confidences intérieures, des moments de flottement, d’indétermination, qui auraient pu donner plus d’épaisseur aux deux rôles principaux pour leur permettre de mieux incarner l’incommunicabilité du couple. De ce point de vue, par-delà la question de la sincérité, le film est construit sur une volonté de transparence totale des deux personnages. Or nul n’est réellement transparent à soi, et encore moins aux autres. Cette brume existentielle est mieux perceptible dans le cinéma d’Antonioni.

Mon sentiment est aussi, que malgré les revendications d’indépendance, de liberté du personnage de Françoise, on ressent après la vue de la version « Jean-Marc » un jugement moral, conjuguant liberté et frivolité.

Créée

le 26 mars 2024

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