Nouveau film de Lenny Abrahamson, Frank est un hommage aux groupes marginaux qu’on a vu fleurir dans les années 70, ces artistes bidouilleurs toujours à la recherche d’une création originale, d’un nouveau son et qui, la plupart du temps, finissaient dans l’anonymat des incompris. Frank est un film britannique jusque dans son code génétique : l’humour et l’esprit transpirent la langue de Shakespeare, la sauce à la menthe et la musique pop. Frank est un petit OVNI du 7ème Art, un film aux parfums d’artisanat à la distribution prestigieuse et au scénario qui trouve son humour dans un culot monstre et une marginalité assumée, tour d’horizon.

Ce qui frappe dès l’affiche, c’est cette énorme fausse tête (aux airs d’Astro Boy) portée par Michael Fassbender et qui continue d’interroger même après la fin du film. Elle est un grain de folie aussi bien du personnage que des scénaristes Jon Ronson (auteur des mémoires dont est tiré le film) et Peter Straughan. Elle rebute à priori, parce qu’elle prévient de manière très claire que ce film sera différent et que cette différence, il faudra l’accepter pour profiter des 95 minutes parfois dignes de l’univers ubuesque d’Alfred Jarry. Néanmoins, les plus rétifs seront sauvés par un humour omniprésent, cet humour britannique qui figure sur la plus haute marche de la poilade mondiale. Car si les scénaristes ont créé des membres du groupe qui semblent très souvent si sûrs de la qualité indéniable de leurs créations (souvent proches des Précieuses Ridicules de Molière), ils n’oublient pas qu’un grain de folie peut être hilarant. On rit donc beaucoup et comme toujours chez les grands-bretons, l’humour est toujours à plusieurs degrés.

D’un côté il y a Frank, gourou doux dingue et auteur d’improbables paroles de chansons. De l’autre il y a le groupe, avec ses conflits, ses aspérités et ses rivalités. Il faut les voir, passer la moitié du film (des mois dans l’histoire), dans une vieille et miteuse maison isolée au milieu des bois, pour enregistrer « l’album de leur vie ». Il faut les voir se prendre tellement au sérieux, persuadés que leur album révolutionnera le monde de la musique. Pourtant, ils ne sont pas ridicules ou pathétiques, on se prend même à les admirer pour leur acharnement, pour leur travail sur une œuvre dont ils ne parviennent pas à accoucher, tels des conquérants de l’impossible. Tout cela vu à travers les yeux de John, dernière pièce rapportée et apprenti auteur/compositeur, tour à tour exalté ou désabusé par les frasques et les caprices d’artistes exigeants, il apprend, avec patience, l’art difficile de la composition : avec des notes de musiques, avec les autres et avec lui-même.

De prime abord, Michael Fassbender qui passe la quasi-totalité du film avec une fausse tête sur sa vraie tête, au mieux ça inquiète, au pire ça refroidit. Puis l’acteur se souvient qu’un comédien doit avant tout savoir user de son corps et là, le tour de force est étonnant. Il parvient par des mouvements et des postures, a donner vie à cette tête de pacotille, il lui donne sentiments et expressions, pour nous rendre familier un homme masqué. Michael Fassbender n’est pas seul et n’est que la tête de pont d’un prestigieux casting dans lequel figurent entre autres le très prometteur Domhnall Gleeson (qui joue dans les traces de Hugh Grant) et Maggie Gyllenhaal, beaucoup plus extravertie qu’à l’accoutumée et pleine de conviction dans son rôle de pianiste irracible.

Quand on y réfléchit Frank restera comme une réflexion sur la création artistique et sur toutes les questions qu’elle soulève. Celle de sa définition : l’art doit-il être beau ? Le talent suffit-il à le définir ? Ne nait-il que parce-que son créateur est convaincu qu’il s’agit d’art ? Celle de son utilité : est-il un lien indispensable entre le créateur et son publique ? N’est-il qu’une nécessité créatrice vitale pour son auteur ? N’existe-t-il que lorsqu’il trouve un public ? Un film à l’humour féroce sous lequel se cache donc un bijou d’humanité doublé d’une profonde réflexion qui rappellera étrangement Les Précieuses Ridicules de Molière, par cette capacité de certains à créer des œuvres totalement obscures, à ceci prêt que se posait la question du talent de ces précieuses. Quant au talent de Frank, chacun jugera…
Jambalaya
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le 9 déc. 2014

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Jambalaya

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