Ancienne critique:
Ce n'est pas mon préféré non plus (Le chien de Baskerville) mais c'est du tout bon. Cushing est remarquable et dépeint un Frankenstein joué de sa création et de sa fièvre divine avec une force et une folie que son jeu sublime. Lee est loin de la performance de Karloff, mais c'est bien normal : ici, c'est Frankenstein qui est au centre de l'intérêt, non sa créature. C'est l'emprise de la soif de création, coûte que coûte, qui est au centre du film.
Fisher réussit remarquablement avec peu à engendrer un assez bon suspense, mais c'est surtout la fascination pour la chute progressive du personnage dans la folie qui illumine le film.

Critique de la dernière revoyure:

En relisant mon ancienne critique, je me rends compte que je n'ai pas changé de sentiment. J'apprécie peut-être encore davantage le travail de Peter Cushing sur son Frankenstein.

Et de même (c'est forcément lié) je suis heureux que Terence Fisher ait centré son film sur la figure du savant sombrant dans la folie de son "invention" plutôt que sur sa créature. Ce qui fait peur, ce n'est plus le monstre créé mais la démesure qui a présidé à sa naissance, la chute de la raison au nom d'elle même, comment le scientifique se donne corps et âme à sa recherche, comment cette recherche abolit toutes les barrières morales, comment plus rien n'est impossible pour lui, pour cet objet qu'il crée, cette vie dont il est le père.

Ces réflexions sont vieilles comme la science, mais cette histoire de la créature de Frankenstein est devenue comme un mythe moderne, universel, racontant les démons du savant qui se prend pour Dieu.

Le film alimente ce débat de façon spectaculaire, on pourrait dire qu'il l'utilise comme un outil de divertissement. Et là, il faut évoquer la très belle photographie de Jack Asher et le gros travail sur les décors. On n'atteint peut-être pas les merveilles que les productions des Archers ont su créées des années auparavant. Toutefois, pour une petit maison comme la Hammer, le rendu est d'abord très efficace. Certes, on voit bien les décors peints, mais peu importe.

Une teinte passée, douce donne à l'ensemble une couleur unie, très délicate, comme un vieux papier jauni qui équilibre le ton général donné à la plastique du film. Et par conséquent, cette esthétique propre à la Hammer (période colorisée) souligne à la perfection me semble-t-il l'idée romantique et mythologique du héros qui se brûle les ailes au soleil de la véritable création, la primaire, la tutélaire, l'idée tabou de l'homme s'attaquant à Dieu, la pire usurpation. Le style gothique tellement ancré dans l'imagerie que l'on a du XIXe siècle (voire de la 2e moitié du XVIIIe) rappelle la confrontation à cette période post-"lumières" entre le triomphe de la science et la chute de la religiosité, entre matérialisme et spiritualité. Ces images portent en elles cet affrontement violent, offrent un saisissant contraste avec les couleurs sages, un peu éteintes du film, alors que la lumière est souvent sombre à l'arrière-plan et que les décors laissent paraître eux aussi les tourments métaphysiques et donc intérieurs des personnages.

Pour corroborer ce propos, il me semble important de mettre en exergue le travail très baroque également de Peter Cushing. Jouant d'un physique acéré, coupant, émacié, aquilin avec sa tête d'oiseau de proie, doté d'un regard de fou, bleu glaçon, il n'hésite pas à monter vers des hauteurs de grotesque, à exagérer. Les points d'exclamations dans le jeu ne sont paradoxalement pas excessifs. D'abord, ils sont rares, ensuite, ils sont systématiquement en phase avec la scène, avec le tragique de l'action et surtout ce que je décrivais plus haut, cette violente confrontation entre l'homme et Dieu (entendu comme le créateur de la vie et de la nature). Forcément quand la créature l'étrangle, la langue de Cushing sort de sa bouche, tel un cheval dans le Guernica de Picasso, ses yeux paraissent prêts de sortir de leurs orbites. Le plus incroyable, c'est que ces scènes fonctionnent. Elles sont totalement dans l'histoire, comme dans l'idée esthétique de tout le film.

L'autre comédien intéressant dans ce film n'est pas Christopher Lee. Comme dit plus haut, la créature n'a finalement que peu d'importance. Par contre, Robert Urquhart (qui joue le précepteur de Frankenstein) représente le regard bourgeois, moral de cette fable. Implicitement, il est également la figure du sage, et donc celui sur lequel le spectateur peut se reposer, par identification, ne serait-ce que pour se rassurer. Beaucoup de plans fixent son visage, son expression inquiète d'abord, puis de plus en plus effarée par l'état délabré de son élève. Horreur absolue : lui aussi a créé un monstre, un démiurge qui se croit au-dessus de la mort, au-dessus de Dieu. La façon dont Robert Urquhart laisse son visage de décomposer au fur et à mesure qu'il se rend compte du gouffre qui le sépare désormais de son élève est remarquable.

Sur ce film on déplore néanmoins la très mauvaise prestation de Hazel Court. Je n'avais pas vu aussi médiocre comédienne depuis belle lurette! Pas mal de contre-temps dans les dialogues, surtout un ton souvent faux, une gestuelle presque comique font de son jeu quelque chose d'assez ridicule. La pauvre fait rire. Elle gâche bien trop la montée du suspense. Vraiment dommage.
Alligator
7
Écrit par

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le 26 déc. 2012

Modifiée

le 23 mars 2014

Critique lue 593 fois

5 j'aime

Alligator

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