Ira Sachs est un peu à Télérama ce que Dany Brillant est à Radio Nostalgie, une valeur sure. Dommage cependant que s’il profite de son dernier film pour quitter le décors de Brooklyn qu’il avait investi depuis 10 ans, Frankie se révéle au final le projet le moins original de sa filmographie.


Frankie s’inscrit (hélas) dans le sous-genre malheureusement beaucoup trop plein des “drames bourgeois en vacances près de la mer”. Du grinçant Happy end de Haneke à l’épouvantable Les estivants de Valéria Bruni Tedeschi en passant par le sympathique A bigger splash de Luca “Call me by your name” Guadagnino, remake de La Piscine de Deray, on en écope forcément d’au moins un chaque année à Cannes ou à Venise. Récits chorals où une ribambelle d’acteurs déclinent leurs versions du spleen dans un décor de carte postale, tentant vainement d’imiter Le mépris de JLG sans en avoir le centième de l’inspiration.


Le scénario diffracté de Frankie nous donne ainsi à suivre les membres de la famille de son héroïne, actrice célèbre mais condamnée qui veut passer un dernier été avec les siens, toutefois la gravité du propos est compensée par la nonchalence de l’ensemble : on va à la plage, on fait du tourisme. Le drame ne devient qu’un prétexte à une étude de caractère pas folichonne, on s’arrange pour que chacun ait droit à son moment de gloire via une grande tirade qui va du sympathique au très gênant. La diatribe de séduction sur le football et les vacances d’un préado en milieu de film interroge mais c’est la psychanalyse express de Jérémie Renier débalant brutalement son sac à une Marisa Tomei qui n’a rien demandée, rencontrée littéralement quinze secondes auparavant, qui a tout d’un long malaise. Observez bien Tomei durant la scène, son envie de partir en courant est presciente.


Si on ajoute à la sauce quelques tics de réalisateur comme de vouloir coller au maximum à un rythme “réaliste” en ne coupant ses plans qu’au moment où tous les personnages quittent l’écran, on touche assez rapidement au soporifique de premier choix. Dommage aussi que Frankie possède la non-modestie du cinéma intéllichiant Cannois que l’on est les premiers à encenser pour peu qu’il y ait quelque chose à sauver : des contraintes volontaires et des métaphores d’étudiant en première année de ciné (montrer un coucher de soleil en hors champs) ne font pas un bon film. Bien moins piquant que Brooklyn Village et Love is strange avec un dosage parfois juste mais souvent raté dans l’écriture de ses personnages stéréotypés, Frankie laisse la même impression qu’un diaporama photo qui s’éternise.


Au final, une Huppert magistrale dans ce qui serait à un cancer près son propre rôle, ne peut cependant pas porter à elle toute seule ce projet informe. C’est bien beau de viser l’épure mais cette histoire faite de tout petits riens ne se retrouve qu’à narrer un grand vide.

Cinématogrill
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le 28 août 2019

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