Interminable deuil
Avant tout mitigé, perplexe et pas entièrement convaincu, me voici un peu embarrassé face à ce dernier projet de François Ozon, qui, osons le dire, n'est pas totalement clair et fait du sur-place...
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le 8 sept. 2016
52 j'aime
8
Frantz est un film dérangeant par son ambiguité, son jeu sur le mensonge et l'artifice. C'est un jeu en trompe-l'oeil avec lequel s'amuse François Ozon, prenant à contre-pied le traitement académique du sujet auquel on s'attendait peut-être. Sa mise en scène est rigoureuse, élégante, subtile.
Le sujet historique est sobrement abordé. Au lieu de sombrer dans la démonstrativité, Ozon fait reposer la douleur, dans les non-dits et le malaise. Il filme à échelle humaine, prenant comme terrain d'observation une petite ville allemande. Il montre la xénophobie quotidienne, le sentiment de deuil qui paralyse tout, la nostalgie de la vie d'avant-guerre. L'histoire d'amitié "franco-allemande" est beaucoup plus subtile qu'elle pourrait le laisser croire. Il a la bonne idée de raconter l'histoire des deux personnages principaux, en miroir. Elle permet de lui évoquer le déboussolement d'une génération qui a vu des choses que les aînés ne peuvent comprendre, l'impossible dialogue entre elles. Les parallèles dréssés entre les deux personnages confrontés aux mêmes tourments. Le passage de flambeau entre les personnages dépasse les nationalités.
Ce passage de flambeau se fait dans la frontière de la lucidité et du mensonge. Pour raviver la grisaille quotidienne, il n'y a que le mensonge. Au début du film, Adrien est pris dans son traumatisme mais il raconte des mensonges pour enjoliver le quotidien des autres. Au milieu du film, Adrien passe
le flambeau à Anna. Il n'a pas le courage de supporter le poids de son mensonge. Anna, elle, le supportera jusqu'au sacrifice. Cela justifie l'utilisation de la couleur. Elle intervient lorsque les personnages se construisent un paradis : lorsqu'Adrien raconte des histoires comme le fera Anna plus tard. Ainsi la colline est en couleur, c'est qu'Anna croit les histoires romantiques d'Adrien. Lorsqu'elle y retourne, seule, lucide, elle reste grise et morne. Elle en restera à jamais prisonnière comme le suggère la mise en scène lorsqu'elle se confesse au prêtre (très beau personnage malgré la brièveté de son apparition) et qu'elle est filmé à travers la grille.
Ozon utilise là une métaphore de l'artiste. Il est lucide et conscient, mais doit "enchanter" le monde. Il se sert d'un récit tout en rebondissements. Ce récit, qui déjoue sans cesse les attentes du spectateur, évoque un film noir (l'enquête que mène Anna à Paris). Il cite des films tels que Le Troisième Homme, notamment dans la séquence hallucinatoire du train de nuit, où Casablanca dans les deux scènes où les hymnes nationaux sont chantés (il faut souligner l'admirable tension que Ozon construit dans ces deux scènes). Il met plusieurs fois en abîme le rôle du spectateur: ces peintres amateurs au Louvre, qui recopient des toiles de maître, mais ne pouvant saisir ce qui fait le coeur de l'oeuvre d'art. Où ces reflets de ville en ruine sur le vitre du train: jamais un film ne pourra saisir l'horreur que ces ruines représentent, telles que les voit Anna, semble nous dire le cinéaste.
La fin est désespérée mais presque ironique. Anna devient l'héroïne d'un mélodrame comme au temps du muet. Elle s'enferme elle-même, volontairement dans l'illusion, au cotés d'un jeune homme qui est un pâle reflet d'Adrien. Elle ne peut se rattacher qu'à ce tableau du Suicidé de Manet. La douleur dans l'art revitalise les êtres.
Paula Beer évoque Ingrid Bergman dans Europa 51. Grâce à son jeu, elle donne une grâce est une présence incroyable à son personnage. Pierre Niney évoque égalment les acteurs de l'âge d'or hollywoodien, qui masque mal sa lâcheté derrière ses aspects romantiques. Quant à Ernst Stötzner, il incarne une figure de patriarche de façon très vivante, dans une scène où il prend conscience de sa responsabilité dans la mort de son films. Au-delà des sentiments humanistes de son discours lorsqu'il accuse les nationalistes d'être fautifs, il est violemment pris par sa propore culpabilité, ce qui donne une force rare à cette scène.
Frantz est parfaitement réussi dans son ambition. Il donne un parfait exemple des capacités d'un auteur se réappropriant les codes d'un genre en vogue (le film historique) pour y intégrer ses thématiques personnelles, déjouant le formatage du genre pour y insuffler une inquiétude et une ambiguité rares.
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le 24 sept. 2016
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