[Critique de la trilogie parue dans Jelly Brain n°10 de mai 2020]
La date symbolique du vendredi 13 mars 2020 aura vu la naissance d’une nouvelle plateforme de streaming française dédiée au cinéma de genre, la bien nommée Shadowz. Dans la foulée, les créateurs annoncent la sortie d’un programme original, une saga de films à sketches sobrement appelée French Blood. Décryptage.
Œuvre du collectif de réalisateurs du même nom, French Blood se veut, selon l’aveu même de ses créateurs, « une nouvelle approche de l’anthologie de l’horreur et du fantastique ». Coup de com ou vraie intention ? Toujours est-il qu’il va falloir de sacrés arguments pour relever le défi. Pour l’instant constituée de trois films, la saga devrait en comporter au moins cinq au final. Tous portent des noms d’animaux en référence à la trame principale concernant une sorte de secte dont les membres portent des masques d’animaux.
Le premier opus, Mr Pig, semble assez faible comparé à la promesse indiquée plus haut. S’il pose des bases intéressantes, cimentées par des références et clins d’œil à d’autres franchises, il ne les exploite jamais. Le budget, apparemment maigre, force le réalisateur, Rodolphe Bonnet, à recycler le même type de décors et les mêmes acteurs, qui sont pour la plupart assez peu crédibles. Si les deux premiers segments sont assez honnêtes et font même preuve d’un certain humour noir, Bonnet se vautre avec la dernière partie, assez symptomatique des limites du cinéma d’horreur en France. Recyclant allégrement des poncifs surtout vus dans Frontières par exemple, il semble nous dire que le cinéma de genre français est condamné à repomper son propre patrimoine, incapable de se renouveler. Un final sans surprise, des séquences quasi nanardesques mais des maquillages très réussis. Et que dire de ces dernières scènes, pendant le générique, qui bâclent en 30 secondes une trame narrative pour justifier le titre ? Le plus risible restera la mention « une expérimentation du collectif French Blood » pour qualifier cet amas de clichés indigestes. Mais juger une saga à l’aune de son premier film paraît assez réducteur. Aussi nous faut-il plonger plus profondément dans cet univers.
Son successeur, Mr Rabbit, paraît déjà plus prometteur. Les mêmes acteurs reviennent mais le budget a l’air un peu plus conséquent et la trame principale s’étoffe, ce qui est appréciable. On remarque aussitôt un sursaut d’originalité dans le traitement des segments, cependant on se rend compte au générique de fin que c’est dû au fait que Bonnet ne réalise que la trame principale et que les autres segments sont l’œuvre d’autres réalisateurs. Leurs contributions sont d’ailleurs des « vieux » courts-métrages datant de 2011-2012, ce qui est discutable mais vu leur qualité on ne va pas faire la fine bouche. La saga commence à prendre forme, tout en proposant des histoires prenantes et intéressantes. On retiendra notamment une escapade fort bien menée dans des camps de concentration sans verser dans le pathos ou dans les clichés habituels, ce qui est déjà un petit exploit en soi.
Arrivant à la troisième tentative, Mr Frog, on commence à être en terrain connu. Les personnages de la trame principale commencent à devenir attachants malgré le jeu toujours inégal. Cet opus peut compter sur la présence du meilleur court de la trilogie pour l’instant : Abri 17, qui possède le scénario le plus intéressant et la direction artistique la plus aboutie. On en viendrait même à espérer qu’il devienne un long-métrage à part entière tant le potentiel saute aux yeux. Comme d’habitude, les maquillages sont toujours impressionnants et le second degré mieux dosé. Il faut toutefois signaler une erreur de parcours inattendue : le segment Only God Knows, dont la présence est plus que discutable. Non seulement sa condition de drame familial sur fond d’histoire de braquage raté détonne dans une anthologie consacrée à l’horreur et au fantastique mais c’est également sur la forme qu’il pose problème. La mise en scène, à base de gros plans caméra à l’épaule, est insupportable et la photographie délavée fait plus penser à une erreur d’étalonnage qu’à une vraie intention de réalisation. Heureusement, les deux autres segments, ainsi que l’avancement de la trame principale rattrapent aisément cette étonnante digression.
Malgré un début hasardeux et des ambitions survendues, la franchise parvient petit à petit à s’affirmer et nul doute que les amateurs y trouveront leur compte. Affaire à suivre.