Le film n'a même pas encore commencé que l'ambiance s’installe déjà. La musique anxiogène d'Ennio Morricone commence à guider l'inconscient du spectateur. Le travail de Morricone est d'ailleurs doublement impressionnant car il parvient à imiter le style de Carpenter de façon sidérante tout en signant une bande originale collant parfaitement à un genre de film où on ne l'attendait pas. Une courte scène d'exposition plus tard (qui sert presque uniquement à amener le titre), les choses sérieuses commencent. Bom, bom. Une pulsation rythmique qui sera quasiment le seul thème du film. Bom, bom. Une étendue désertique, glacée et hostile à toute vie (toute ?) comme unique porte de sortie. Bom, bom. Tous les ingrédients sont en place. Bom, bom. Avec une simple scène où un hélico poursuit un chien, Carpenter et Morricone ont déjà établi l'ambiance de l'ensemble du film. Bom, bom. Bienvenue dans The Thing, le meilleur film de Carpenter et l'un des meilleurs film d'horreur de l'histoire du cinéma.
Comme dit plus haut, la maestria de ce film, c'est de jouer sur l'inconscient du spectateur. Avec seulement deux notes, Morricone arrive à créer une intensité alors que rien ne s'est encore passé. En deux notes, il met en garde le spectateur : "Tu le sens bien ton cœur ? Parce qu'il va battre bien fort pendant tout le film." Un exemple magistral de la primeur de la qualité sur la quantité. Car la plupart du temps, il n'y a pas de musique dans ce film. Carpenter préfère laisser le silence exprimer les angoisses des personnages, ou le bruit du vent rappeler l’impossibilité de la fuite. Morricone n'est en effet pas le seul à jouer avec le spectateur. La réalisation de Carpenter est impressionnante de maîtrise. Ces petits travellings ou panoramiques, parfois combinés, se glissent dans les méandres de cette station de recherche exiguë pour accroître encore plus la sensation de claustrophobie. La profondeur de champ est également primordiale, Carpenter mettant souvent en relation le premier et le second plan de l'image, ce qui renforce la sensation de menace ou d’observation. On peut citer comme exemple la scène filmée en double focale où un personnage au premier plan ne voit pas Kurt Russell arriver au second plan. Toutes les couches de l'image ont leur importance. La plus fameuse scène à ce sujet est sans doute celle où la tête de la chose (qui s'est fait pousser des pattes) passe "discrètement" derrière les personnages qui sont occupés à regarder autre chose au premier plan. La menace est partout.
On peut aussi parler des acteurs, tous très convaincants, avec en chef de file un Kurt Russell au sommet de son charisme. Il campe un MacReady taciturne, nihiliste, à qui il vaut mieux ne pas la faire à l'envers. Ce film est d'ailleurs très intéressant dans le traitement de ses personnages. On pourrait croire que le fait de ne pas donner de profondeur à des personnages dans un film d'horreur serait quasi suicidaire, mais ici il n'en est rien. Ne pas leur donner de background les rend ainsi plus humains : la chose s'attaque à l'humanité entière. Enfin, à l'heure où notre génération bouffe des slashers mettant en scène des personnages décérébrés, il est bon de voir un film où les personnages prennent des décisions rationnelles tout du long (la mise en quarantaine d'un élément perturbateur par exemple) malgré un climat de terreur un brin handicapant. C'est la preuve d'une écriture solide (en plus ce sont des scientifiques, après tout).
Avec Alien et Shining, The Thing représente le meilleur du film d'horreur à ambiance, préférant économiser les effets pour quelques scènes de flippe dantesques (la scène de défibrillation par exemple) rendues encore plus efficaces par l'atmosphère viscérale établie plus tôt. Ces scènes intenses multipliant les effets spéciaux dits "pratiques" (practical effects) sont l'oeuvre du MVP de ce film, l'homme sans qui The Thing aurait pu être un nanar oubliable, j'ai nommé mister Rob Bottin. Même aujourd'hui ces effets sont proprement hallucinants de crédibilité et font que le film a pu être apprécié par plusieurs générations de cinéphiles. Le prequel pas très utile de 2011 a d'ailleurs prouvé que les effets spéciaux numériques ne tiennent absolument pas la route face au travail de Bottin. Travail qui mérite d'autant plus d'être souligné que le bonhomme n'avait que 22 ans au début du projet et a fait un séjour à l’hôpital tant le tournage l'a exténué. Chapeau bas monsieur Bottin.
Attendez, on me dit dans l’oreillette que ce n'est pas tout, ce film pose aussi des questions intéressantes. Un film d'horreur de sf qui fait réfléchir ? Mais oui ma bonne dame, c'est possible.! On n'est pas non plus au niveau d'un Blade Runner mais quand même. Ici on aborde surtout la question de l’altérité (comment puis-je faire confiance à l'autre ?) et d'humanité (qu'est ce qui fait de moi un humain ? comment puis-je prouver mon humanité ?). En fait The Thing c'est presque un film sociologique, non ? Et saviez-vous qu'on peut aussi interpréter le film comme traitant du sida ? (C'est une question rhétorique, je sais que vous êtes des gens intelligents) En effet, au début des années 80 les USA étaient en pleine panique de cette maladie nouvellement découverte. Ce qui donne un sens nouveau à la scène du test sanguin.
Il y a un détail qui me tue dans cette histoire quand même. La grande majorité des films de Carpenter ont fait un bide critique et financier (à part Halloween, qui était un succès surprise) alors que le mec est un génie. Il a mis toute sa passion, tout son être dans The Thing, et le résultat est visible à l'écran. Ce cher John aurait déclaré avoir été convaincu de faire le film en lisant le script de la scène du test sanguin. Cette scène étant l'une des plus intenses qu'il m'ait été donné de voir dans ma vie de cinéphile, je ne peux que croire cette affirmation. Plus qu'une simple scène de stress, c'est une leçon de rythme. Après un Halloween ultra prometteur, Carpenter prouve tous les espoirs placés en lui et fait oublier l'original de Hawks de fort belle manière : en n'essayant aucunement de l'imiter.