Sans aller jusqu'à dire que The Wire a tout pompé sur French Connection, il est bon de rendre à César ce qui est à César. 46 ans après sa sortie, le premier succès de William Friedkin reste un véritable coup de poing cinématographique et un modèle indétrônable qui a redéfini tout un genre du cinéma.
Issu du documentaire, le jeune Friedkin impose une vision brute, nerveuse et ultra-réaliste du New York miteux des années 70, dans la veine des premiers Scorsese. Le montage, d'une grande précision, multiplie les points de vue sur cette intrigue dont les protagonistes ont les yeux partout. De quoi nous immerger jusqu'au front dans cette filature trépidante de bout en bout et dans une atmosphère grisâtre, poisseuse, tendue comme un string.
La course poursuite en plein Brooklyn, tournée dans la plus complète illégalité, résumé à elle seule toutes ces qualités. De mémoire de cinéphile, jamais jeu du chat et de la souris ne m'a autant happé et fait serrer les dents que pendant cette quinzaine de minutes absolument hallucinante, dont le montage frénétique est rythmé par les crissements de pneus et le tambourinement assourdissant des rails du métro. Et dire que ce n'est qu'un morceau de bravoure parmi tant d'autres, comme le jouissif pistage entre Popeye et Charnier, ou le final crépusculaire.
Mais l'audace de Friedkin ne se limite pas au brio formel, elle affecte également la narration. Le réalisateur distille ça et là de petits détails subtils qui nous permettent de mieux cerner la personnalité et les démons intérieurs de Popeye Doyle, sans que cela ne freine jamais le déroulement de l'enquête ni la fluidité du film, bien au contraire. C'est tout aussi couillu que le choix de nous parachuter dans les pas d'un héros / anti-héros, raciste, impulsif, rustre mais déterminé et au final éminemment attachant. Gene Hackman, extraordinaire d'authenticité, incarne à la perfection ce personnage gris, complexe, sans fards, à l'image du film.
Bref, avec ce coup de maître incontestable, ce pavé de dix tonnes dans la mare du cinéma policier, Friedkin s'offre un laissez-passer permanent pour le panthéon du Nouvel Hollywood.