Tous en haine
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Dans ce dernier long-métrage, les personnages fétiches d’Arnaud Desplechin sont devenus des fantômes : l’once de drôlerie et de fine autodérision propre à son œuvre semble ici s’être étiolée, diluée dans une forme de cynisme et d’épuisement de soi. Les intellectuels romantiques de l’époque contemporaine - dont Paul Dédalus incarne chez l’auteur le parfait modèle – apparaissent ici mis en pièces, comme si le déroulement de l’existence et l’évolution des personnalités avaient inexorablement conduit à un émiettement des affects.
Une haine gonflée de passion et de mystère hante la relation d’un frère et d’une sœur. Des histoires de famille plus lointaines sous-tendent ces dissensions qui forment une architecture labyrinthique. Il y a là autant d’ingrédients si chers au cinéaste, ceux qui traversent son cinéma, et mûrissent en son sein pour lui donner corps, identité et force. Pourtant, Frère et sœur se démarque dans cette filmographie par un emploi exacerbé de pathos. En cette nouvelle édition du Festival de Cannes, Desplechin a fait le choix de la noirceur et des larmes.
Il y a la mort du fils, la mort de la mère et le suicide du père. Cette accumulation de tragique dans le temps réduit d’une intrigue est étrange par son excès et ses associations artistes qui brouillent l’unicité. C’est donc une œuvre de l’éparpillement où les poussières de vie sont balayées au gré des vents contraires. De cette concentration confuse il ne ressort plus que l’effet sur ceux qui restent et se trouvent comme creusés de l’intérieur par les disparitions.
Si nous fûmes d’abord attirés par un casting brillant, il faut toutefois noter des performances inégales comme pour Melville Poupaud dont la palette de sentiments apparaît comme ensevelie sous un jeu exubérant et sans grande nuance qui le tient à distance. Sa sœur et sa rivale incarnée par Marion Cotillard arbore une féminité plus subtile, entre grâce et violence. Dans ce duo basé sur le dysfonctionnement, elle est la clé, plus humaine et plus touchante dans ses névroses : cela s’observe dans un semblant de réconciliation final, habilement démenti par sa fuite qui emporte les derniers instants de l’œuvre en concluant sur une sorte d’impasse.
Enfin, si l’ensemble peut être jugé comme un brouillon de tristesse, un portrait sans concession de la fin de vie dans les hôpitaux se démarque par sa sensibilité et sa précision. Dans la continuité de son obsession pour la chair et le spectacle de la putréfaction, Desplechin n’épargne aucun détail de l’état du corps en déliquescence. Ce tableau saisissant de crudité marque l’œuvre d’une certaine puissance cathartique.
Frère et sœur n’est donc probablement pas un des plus grands films d’Arnaud Desplechin mais plutôt une nuance supplémentaire, un essai, une note convergente entre continuité et dissonance.
Créée
le 5 juin 2022
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